Tribune libre

Mais où sont donc passés les médecins des hôpitaux ?

Publié le 04/09/2014
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La question mérite en effet d’être posée lorsque l’on constate qu’en deux à trois décennies, ce vaste corps professionnel qui représentait il y a peu de temps un but et une fierté pour nos meilleurs spécialistes est aujourd’hui jugé non attractif pour près d’un tiers des postes disponibles.

Il faut se souvenir que nos aînés universitaires se sont longtemps fait un devoir d’assurer le recrutement médical régional parmi leurs meilleurs élèves, participant ainsi à l’essor et à la qualité reconnue d’un système hospitalier mis en réseau naturellement et à moindre frais par ses compétences médicales initiales.

Progressivement, et sous l’emprise d’un hôpital public de plus en plus administré verticalement avec les succès que l’on sait, au point que sa recherche de performance nécessite aujourd’hui d’être assisté par de multiples et coûteux acteurs publics ou privés, ce corps professionnel s’est trouvé amputé de ses principaux moteurs quantitatifs et qualitatifs.

Dépecé par des analyses tronçonnées, par des rapports successifs et sans lendemain (ressources humaines, rémunérations, secteur libéral, intérim, exercice médical à l’hôpital), affaibli par les corporatismes internes ou externes exploités, abusé par l’inertie fautive qui a fait suite aux divers accords cadres ou pacte de confiance, voici un métier dont l’exercice était par sa globalité technique et décisionnelle une authentique et motivante richesse nationale en train de glisser vers une simple activité de production d’actes tarifés, non exhaustifs, faisant fi bien souvent de leur essence basée sur une approche multi-variée et intellectuelle.

Où sont donc passés les médecins hospitaliers tout à la fois attractifs individuellement et collectivement pour les patients, motivants pour les équipes, tous personnels confondus y compris administratifs, ces atouts clés afin que toutes les reconnaissances professionnelles soient respectées à l’hôpital public, dont ils incarnaient en outre une vision et une crédibilité à l’extérieur ?

De nouveaux métiers apparaissent, masquant parfois simplement les classiques glissements de tâches, mais ouvrant aussi l’espoir d’une véritable re-fondation des équipes spécialisées et de leurs organisations. Mais curieusement rien ne se profile aujourd’hui pour les médecins des hôpitaux ! L’interminable et décevant débat frileux relatif aux modalités de désignation de nos responsables au sein des pôles, le très insuffisant cadrage territorial de ceux-ci illustre à quel point certains envisagent de construire un service public hospitalier sans l’implication décisionnelle réelle de ses médecins, dont certains deviendraient classiquement des cadres administrés et désignés.

Tant en interne qu’au niveau régional, ce métier ne semble plus être considéré globalement comme stratégique. Que chacun en mesure les conséquences, que chacun face preuve de sincérité devant sa responsabilité. Mes collègues ne resteront pas inertes devant tous ces constats.

Il y a véritablement urgence à mettre en œuvre un re-positionnement statutaire et fonctionnel profond et structurel, basé sur les compétences professionnelles globales de notre métier. Rendre attractif tout en évitant tout autant le retour à une caste mandarinale que les attraits trompeurs d’un pseudo-fonctionnariat pour officier de santé, voilà la vraie priorité pour l’hôpital et ses médecins. Rester inactif est la pire des attitudes.

Diversification et revalorisation quantitative et qualitative significative de l’exercice, médicalisation crédible et réelle des instances décisionnelles tant locales que régionales, rétablissement de la confiance par des décisions et des actes doivent permettre de faire émerger un nouveau métier d’équipe, reconnu, associé au pilotage et non plus contourné de toutes parts.

Il s’agit d’un préalable, tout reste possible au terme d’une rapide mais authentique négociation statutaire et fonctionnelle, le chemin pouvant être alors tracé pour une productive évaluation de pertinence et de performance à l’hôpital. À l’hôpital public, l’adaptation constante, notamment mais pas seulement en raison du contexte économique, doit faire émerger simultanément tous les nouveaux métiers, de façon structurelle et non pas seulement comptable, en valorisant les reconnaissances professionnelles réciproques. Vouloir agir sans eux, voire contre eux, poussera inéluctablement les médecins de l’hôpital les plus investis à s’en détourner, accélérant ainsi la paupérisation pour tous, usagers y compris.

* Médecin des hôpitaux honoraire

Par le Dr Jean-Pierre Esterni*

Source : Le Quotidien du Médecin: 9345