Etablissements de santé et emprunts toxiques

Le naufrage de Dexia entraîne des hôpitaux dans la tourmente

Publié le 13/10/2011
Article réservé aux abonnés
1318468335288815_IMG_69040_HR.jpg

1318468335288815_IMG_69040_HR.jpg
Crédit photo : AFP

« ON NE SOIGNE plus que des euros », s’était exclamé, déprimé, un praticien de l’hôpital de Meaux lors du congrès Convergence-Hôpital, le mois dernier, à Tours. L’hôpital de Meaux, déficitaire, a souscrit des emprunts toxiques. Comme d’autres, il peine aujourd’hui à en sortir.

Plusieurs directeurs d’hôpitaux ont été convoqués la semaine dernière par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les produits financiers à risque. Ils ont dépeint un tableau en demi-teinte. Selon une étude réalisée par Finance active, un cabinet de conseil, 80 % du stock de la dette des hôpitaux français est sain. Les 20 % restants sont constitués de produits structurés plus ou moins risqués. Certains prêts, les plus à risque, sont basés sur le taux de change entre le dollar (ou l’euro) et le franc suisse. À la clé, d’importants surcoûts - 240 000 euros à compter du 1er mars 2012 pour l’hôpital de Saint-Dizier, par exemple. Trouver la porte de sortie devient urgent.

Mardi, Nicolas Sarkozy a adressé quelques flèches aux élus, qui, à ses yeux, ont manqué de « bon sens » en souscrivant des emprunts toxiques. « Certes, certains banquiers sont très coupables d’avoir proposé des produits toxiques, mais certains clients ne peuvent être exonérés de leur responsabilité d’avoir cru à des promesses inconsidérées et fallacieuses. Parce que quand on vient vous expliquer que vous gagnerez à tous les coups, qu’il n’y a aucun risque, si on a un peu de bon sens on sent qu’il ne faut pas y mettre les doigts ».

Directeur, pas trader.

Les directeurs d’hôpitaux, que le chef de l’État n’a pas cités, ne veulent pas être tenus pour responsables de l’impasse dans laquelle se trouvent certains établissements de santé. « Nous ne sommes pas des traders, résume Frédéric Boiron, le président de l’Association des directeurs d’hôpital. Nous savons gérer les emprunts classiques, mais nous ne sommes pas des spécialistes de la finance de haute volée ». Frédéric Boiron poursuit : « Les directeurs d’hôpital sont soumis à une forte pression venant des professionnels, des usagers, des élus. Ceux qui ont souscrit un prêt structuré ne l’ont pas fait par jeu boursier, mais pour investir ou pour économiser ». Le prêt structuré, intéressant à court terme, devient hasardeux une fois la période de bonification échue. Ses taux d’intérêt varient alors selon différents indices, et peuvent déraper jusqu’à 20 % en l’absence de borne haute. Le président de l’ADH évoque un « problème moral ». « Des apprentis sorciers ont joué sur des places boursières, en mettant en jeu la situation d’hôpitaux qui soignent des gens », dénonce-t-il.

Le CHU de Saint-Étienne, que dirige depuis peu Frédéric Boiron, est concerné au premier chef par la question. L’établissement a beaucoup emprunté dans les années 2000 pour financer la reconstruction de son site Nord. Sur 297 millions d’encours de dette, 133 millions d’euros sont liés à des emprunts structurés. Le CHU peut s’en libérer à condition d’aligner 160 millions d’euros, une somme dont il ne dispose pas. Reste une solution. S’endetter pour se désendetter. Le directeur général du CHU n’y est pas résolu, du moins pas pour le moment. Il surveille comme le lait sur le feu la situation financière internationale, qui, si elle s’aggrave, peut faire grimper les intérêts de plusieurs millions d’euros par an (chaque année, le CHU stéphanois rembourse 22 millions d’euros, dont 10,5 millions d’intérêts).

À ce stade, Frédéric Boiron assure qu’il n’y a pas d’incidence sur l’activité médicale. Le CHU emploie 7 000 personnes. « Il n’est pas question que je licencie pour payer les emprunts toxiques, précise Frédéric Boiron. Aujourd’hui, les charges financières du CHU ne dérapent pas. Nous essayons de sécuriser au maximum les emprunts toxiques avec l’aide de cabinets de conseil. Mais rien n’indique que ce sera durable. Si mes frais financiers augmentent brusquement de 40 %, il faudra faire des choix ».

Lors de leur audition à l’Assemblée nationale la semaine dernière, les DG des CHU de Saint-Etienne et de Dijon ont préconisé la mise en place de cellules d’expertise financière au sein des communautés hospitalières de territoire, afin que les gros hôpitaux, plus armés en compétence financière, viennent en aide aux petits. « Il faut envisager une structure de « défaisance » des emprunts à risque », ajoute Frédéric Boiron, favorable à la mise en place d’une nouvelle banque formée de la Caisse des dépôts et de la Banque postale en remplacement de Dexia, en cours de démantèlement.

DELPHINE CHARDON

Source : Le Quotidien du Médecin: 9024