Le 11 avril, Paris Match publie un article intitulé « Me too à l’hôpital, les masques tombent », avec en guise d’illustration une photo du Dr Patrick Pelloux. Sur six pages se succèdent des témoignages de femmes anonymes victimes de harcèlement et de propos à connotation sexuelle dans le cadre de leur travail, à l’hôpital.
Mais c’est surtout le propos de la Pr Karine Lacombe, célèbre infectiologue à l’AP-HP connue du grand public depuis la crise sanitaire, qui émerge. En octobre 2023, la cheffe du service des maladies infectieuses de l’hôpital parisien de Saint-Antoine publie le livre Les femmes sauveront l’hôpital (éditions Stock). Elle y évoque à plusieurs reprises sa confrontation tout d’abord en tant qu’interne, en 1994, puis en tant que médecin, lors de la canicule de 2003, à un médecin urgentiste « prédateur sexuel », qu’elle ne cite jamais nommément. Paris Match révèle pour la première fois son identité, que l’infectiologue a confirmée : le Dr Patrick Pelloux, médiatique urgentiste à Saint-Antoine de sept ans son aîné.
Tout le monde connaissait son rapport aux femmes qui faisait le lit de nombreuses rumeurs
Pr Karine Lacombe (extrait de son livre)
Le livre de la Pr Lacombe prend un tour nouveau à la lumière de cette déclaration. En 1994, lors de son stage de santé publique, l’infectiologue âgée à l’époque de 34 ans plante le décor d’emblée. À Saint-Antoine, elle se retrouve confrontée à « un homme d’apparence affable, sympathique, chaleureux ». « Les urgences étaient son territoire, écrit-elle, il y exerçait une domination sans partage qui, les années le révéleraient, dissimulait une part d’ombre conséquente. » Ce portrait peu flatteur lui avait été dessiné par une co-interne. « Sur le plan médical, sa réputation était discutée, il semblait survoler la pratique de la médecine avec une certaine nonchalance […] A son dilettantisme, s’adossait une étrange autorité. Personne n’osait contester les décisions prises par le médecin omniprésent. Mais tout le monde connaissait en revanche son rapport aux femmes, qui faisait le lit de nombreuses rumeurs. »
Le livre évoque sans détour le comportement de l’urgentiste à l’endroit de ses jeunes consœurs, dont Karine Lacombe a été témoin. Un épisode en particulier choque. En rentrant dans le bureau des internes, « cet homme » aujourd’hui identifié lance : « Alors les poulettes, ça ne piaille pas beaucoup dans ce poulailler ! ». Il saisit l’une d’entre elles qui ne l’avait pas vu venir par le cou et frotte son bas-ventre contre elle. Les internes sont gênées, « oppressées », mais ne le montrent pas, de peur d’être ostracisées. Karine Lacombe décrit le parcours de l’urgentiste dans « son harem d’internes, d’infirmières ». L’une d’entre elles a d’ailleurs cédé à ses avances et fera les frais de l’attitude de « ce séducteur impénitent ». L’infectiologue décrit ces « tours de salle » comme étant à l’époque un rite « banalisé » que s’offraient certains médecins de l’hôpital.
La Pr Lacombe remet ces faits dans le contexte de l’époque. Sa génération acceptait (plus ou moins) le comportement de ce médecin, empreint de domination sexuelle et de remarques sexistes du type : « Tu fais la gueule, tu as été mal baisée hier soir ? » Alors que l’infectiologue raconte que nombre de ses collègues internes changeaient de planning de garde quand elles apprenaient qu’il serait le médecin de garde, elle-même n’a jamais fait cette démarche. Pourquoi ? Avec le recul, elle dit avoir vécu un phénomène de « dissociation » et se sentait à l’époque assez forte pour « supporter ses gestes et ses mots déplacés ». De plus, elle avait peu de gardes en tant qu’interne en santé publique.
Peur de l’ostracisation
L’affaire ne s’arrête pas là. En 2003 lors de l’été caniculaire, la Pr Lacombe retrouve l’urgentiste, toujours à son poste. Elle est célibataire et lui-même traverse une période difficile de séparation avec sa femme. Il transmet son numéro de portable à Karine Lacombe. Trois jours plus tôt, il l’avait appelée sous le prétexte de devoir constituer l’annuaire du plan blanc. Le lendemain, ses collègues lui font comprendre en se riant d’elle que c’était à l’administration de réaliser cet annuaire, et pas aux urgences. Décrivant un phénomène d’emprise, elle se dit « penaude, bien naïve et à vrai dire très mal à l’aise, avec toujours cette peur de l’ostracisation si [elle] manifestai[t] [son] désaccord ». L’urgentiste la relance à maintes reprises, l’appelle le soir tard pour lui proposer de le rejoindre dans un bar près de l’hôpital. Elle refuse systématiquement cette proposition.
Le comportement de l’homme change quand elle finit par lui dire qu’elle n’a « aucune attirance pour lui ». Après la séduction, l’ostracisme voire l’humiliation. « Je suis devenue transparente à ses yeux, et à ceux de l’hôpital dont il avait fait son royaume, il fallait me bannir », écrit-elle. Quelques mois après cet été caniculaire, elle quitte Paris pour rejoindre son nouveau compagnon dans le sud-ouest de la France.
Exfiltration de Saint-Antoine
Ce n’est qu’en 2007 à son retour dans la capitale qu’elle apprend que l’urgentiste a quitté Saint-Antoine. Raison donnée à l’époque par le Dr Pelloux : un désaccord avec la direction de l’hôpital. Raison officieuse : la menace d’une jeune interne de porter plainte pour agression sexuelle contre l’urgentiste si aucune sanction n’était prise. Commentaire de la Pr Lacombe : « Son départ [pour exercer dans un autre établissement] serait donc une exfiltration destinée à étouffer l’affaire. » Selon Paris Match, ce transfert aurait été demandé par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot au Pr Pierre Carli, patron du Samu parisien.
Dans son livre, la Pr Lacombe tente d’analyser son comportement et celui de l’urgentiste agresseur avec plus de vingt ans de recul. Elle évoque « une question de génération ». « La mienne porte un regard indulgent sur ces débordements », admet-elle. Selon elle, il n’était pas possible de faire stopper ces agissements à l’époque. « Ni moi ni personne n’avons pris de mesure particulière pour l’empêcher de nuire », ajoute-t-elle. Il faut attendre 2017 et le mouvement Me Too pour que la prise de conscience collective émerge. « Ma propre prise de conscience a été lente, confesse l’infectiologue. Longtemps j’ai considéré l’affaire comme pénible et personnelle. »
Contacté à plusieurs reprises par le Quotidien, le Dr Pelloux n’a pas été en mesure de répondre à nos questions. À Paris Match, il se défend de ces accusations, tout en reconnaissant avoir été à l’époque « trop grivois ».
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