LE QUOTIDIEN – Quelles sont vos impressions, trois mois et demi après votre arrivée à la tête de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) le 22 septembre dernier ?
MIREILLE FAUGÈRE – Après avoir beaucoup écouté, à l’occasion de mes visites d’hôpitaux, de mes rencontres avec les communautés de l’AP-HP – représentants des médecins et paramédicaux, membres de la CME et présidents de CCM, directeurs de groupe hospitalier, organisations syndicales et partenaires – je peux affirmer que notre institution est exceptionnelle. Par l’ampleur de ce qu’elle représente. Par le nombre de patients qu’elle soigne. Par la qualité de ses personnels. Par le volume de ses publications scientifiques… L’AP-HP c’est le numéro un de l’hôpital public universitaire en Europe. Elle doit le rester. C’est mon ambition.
Quelles sont vos priorités ?
Faire préférer l’AP-HP. D’abord à nos patients, en nous mobilisant davantage sur la qualité du service – au-delà de la qualité et de la sécurité des soins qui sont nos fondamentaux, le juge de paix de toutes nos actions. Je souhaite que nous proposions des parcours de soins adaptés aux nouveaux besoins, avec des solutions en amont et en aval de l’hôpital. Nous avons du retard sur la prise en charge quotidienne du patient, que nous devons améliorer, qu’il s’agisse des rendez-vous, de l’attente, du cheminement dans l’hôpital… Nous savons aussi qu’en tendance, le temps passé à l’hôpital se réduit, et l’accompagnement en dehors de nos murs devient décisif.
Il faut aussi faire préférer l’AP-HP à nos personnels. Pour les médecins, on le sait bien, cela passe par l’engagement durable de l’AP-HP dans d’ambitieux projets de recherche et d’enseignement. Il faut également la faire préférer aux personnels soignants, dont le turnover est très élevé, en développant une politique sociale et de promotion professionnelle adaptée et aussi en travaillant à un dialogue social de qualité.
Ne voyez-vous pas la taille de l’AP-HP comme un inconvénient ?
Au contraire c’est une force ! Il y a beaucoup de très bonnes idées à l’AP-HP – de l’organisation de la prise de rendez-vous à celle des modes de prise en charge – mais aucune n’est généralisée aux 37 hôpitaux. Il y a donc de vraies marges de progression. Par exemple, l’ambulatoire, où nous sommes à la traîne. Pour l’ensemble des 17 gestes marqueurs définis par l’assurance-maladie, notre part de marché est de 12 % seulement, contre 64 % pour le privé lucratif. Il nous faut conquérir ces activités. De même, l’AP-HP doit davantage faire tourner ses blocs opératoires, dont les taux d’occupation sont perfectibles (ils varient entre 40 % et 80 %, alors qu’un taux d’occupation est considéré comme performant autour de 85 %), ses plateaux techniques comme ses équipements lourds… Autre marge de manœuvre : améliorer la qualité du codage et le recouvrement des impayés qui représentent potentiellement 30 millions d’euros de recettes supplémentaires. Nous avons aussi beaucoup trop de mètres carrés pour l’activité que nous réalisons. Les mètres carrés non ou insuffisamment utilisés, c’est également coûteux en entretien : il faut mieux utiliser ce capital pour pouvoir réinvestir. Nous devons mieux utiliser l’argent public en trouvant le cercle vertueux qui nous permettra de réduire nos dépenses tout en développant notre activité grâce à une amélioration de l’organisation des soins.
L’AP-HP aura-t-elle résorbé son déficit en 2012 ?
C’est l’objectif donné à tous les CHU. Nous allons terminer l’année 2010 avec 95 millions d’euros de résultat négatif, conformément aux prévisions. Nous préparons notre budget 2011, que nous allons bientôt négocier avec nos tutelles (ARS et ministères). Il faudra faire des économies partout où cela est justifié (sur les achats, les prescriptions…), et trouver des effets de taille. Maîtrise des coûts et qualité des soins ne sont pas des démarches contradictoires mais convergentes. Je le démontrerai avec l’aide de chacun.
Le regroupement des 37 hôpitaux de l’AP-HP en 12 groupes inquiète une partie des personnels. Que leur répondez-vous ?
L’AP-HP, je le réaffirme, est unique et indivisible. Il y a un malentendu sur ces regroupements. Dans certains esprits, groupe hospitalier signifie restructuration. Les restructurations, avec ou sans groupe, il faut les faire et nous devons aller plus vite. Aujourd’hui le temps presse, et les défis sont importants : nous devons impérativement nous adapter à notre environnement. Nos malades changent, leurs besoins sont différents. Nos pratiques professionnelles évoluent et, simultanément, nous constatons des tensions sur la démographie médicale et un fort turnover du personnel soignant. Les groupes, c’est le choix qui a été fait pour réussir, au plus près du terrain, la modernisation de notre offre de soins.
C’est dans le même objectif que nous sommes en train de constituer de nouveaux pôles qui vont bénéficier d’une vraie délégation de gestion, avec des contrats de pôle. Ils auront un rôle essentiel dans la mise en œuvre du plan stratégique 2014. Je souhaite mettre en place les conditions d’une véritable co-construction avec la communauté médicale.
Pour être en appui efficace, le siège va s’organiser afin de mieux servir les intérêts des groupes hospitaliers : mieux organisé, plus rassemblé. Deux nouvelles directions faciliteront le succès de ces objectifs. Une direction du pilotage de la transformation, qui sera notre tour de contrôle et notre aiguillon. Elle devra s’assurer que les objectifs sont atteints par tous. Une direction du service au patient et de la communication. Elle veillera à l’amélioration de tout ce qui accompagne le patient au quotidien et qui n’est pas du soin, aux relations avec les associations d’usagers et les familles, au développement de la qualité.
Claude Évin, le DG de l’agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France, a défini huit territoires de santé correspondant aux départements franciliens. Cela ne vous arrange pas forcément ?
Il est vrai que nous avions plutôt conçu les groupes pour être au plus près des territoires et en cohérence avec les découpages universitaires. Claude Évin a pris sa décision sur la base d’une analyse multicritère différente mais non moins complexe. Il s’agit maintenant de trouver la bonne méthode pour travailler concrètement dans les groupes hospitaliers qui sont à cheval sur deux départements, notamment pour limiter les doublons.
S’agissant des coopérations entre l’Assistance publique et les autres offreurs de soins de la région, je suis parfaitement en phase avec le directeur général de l’ARS. Et j’espère que nous allons réussir en 2011 des avancées concrètes. J’aimerais que l’on trouve un accord entre Louis-Mourier et le CASH [Centre d’accueil et de soins hospitaliers] de Nanterre, entre Henri-Mondor et le CHIC [Centre hospitalier Intercommunal] de Créteil, et que l’on ait un beau projet de territoire sur le 93.
Comment allez-vous gérer le dossier des effectifs médicaux en 2011 ?
Avec la communauté médicale ! La question des effectifs, ce n’est pas un objectif mais un résultat. Il s’agit de travailler sur le fond avec la CME, de trouver des synergies sur les masses critiques et de mettre en œuvre les réorganisations médicalement justifiées. Ceci étant posé, le travail en cours porte sur les postes de praticiens hospitaliers, la permanence des soins, les vacations. Au mois de décembre, la CME a conclu et voté sur le premier volet (remplacements, nominations des PH). La réflexion se poursuit sur les autres aspects.
Quels rapports entretenez-vous avec les médecins de l’AP-HP ? Les trouvez-vous arc-boutés sur des dogmes ou au contraire ouverts au changement ?
Tout dépend des sujets, des circonstances et de la manière de procéder ! Collectivement, les médecins disent avoir compris que les choses ont changé sur le plan économique. Ils constatent que la concurrence s’est bien installée et que dès que nous avons une offre défaillante, ou dès qu’une activité rémunératrice est mise en évidence, le secteur privé se positionne de façon offensive. Mais en réalité, sur le terrain, ce qui fait véritablement courir les professionnels, ce sont les projets médicaux et la recherche. C’est formidable, mais pour réussir la transformation de l’hôpital public, il faut faire aussi émerger la notion d’intérêt général. Pas facile !
C’est un constat. Est-ce aussi un regret ?
C’est un défi, parce que cela ne facilite pas notre adaptabilité. Le chef de service voit d’abord l’intérêt de son service, puis celui de son groupe, et de plus loin celui d’une AP-HP dont il souhaite qu’elle reste « une et indivisible ». Les médecins sont collectivement formidables, passionnés par leur métier, vraiment préoccupés par leurs malades. C’est leur moteur. L’enjeu est donc de rapprocher les points de vue pour que le sens de l’intérêt général soit mieux partagé et donc mieux défendu. Il est indispensable de mobiliser la conscience collective pour mettre en mouvement les réorganisations.
La CME de l’AP-HP est-elle bien armée pour faire avancer les dossiers ? On a eu le sentiment l’année dernière que la barque tanguait parfois et que les troupes avaient du mal à se rassembler…
Je sais que l’année a été difficile, mais en arrivant en septembre, j’ai découvert une CME efficace et à la manœuvre. Le plan stratégique a été adopté à l’unanimité par la CME et il s’agit de le mettre en œuvre, sans brutalité, mais avec détermination.
Comment comptez-vous traiter « le cas Trousseau » ?
Je compte reprendre ce sujet. J’en parlerai prochainement au directoire. Il va s’agir de définir une méthode pour que tous les acteurs se mettent autour de la table pour trouver une réponse commune, hospitalo-universitaire, à la question de la pédiatrie spécialisée sur laquelle l’AP-HP est le seul acteur en Ile-de-France. Il a été dit que trois hôpitaux pédiatriques dans Paris, c’était trop. Mais une fois encore c’est une question de masse critique. « Trop » ou « pas assez », cela ne veut rien dire ! On soigne bien quand on a les bonnes ressources au bon endroit. Il faudra aussi tenir compte de l’origine géographique de la patientèle pour déterminer ce que doit être l’évolution de l’offre de soins. Quand quelqu’un vient de très loin, le sujet n’est pas celui de la proximité mais de l’attractivité des équipes.
Quid de la situation à l’hôpital Tenon ?
Tenon manquait presque chroniquement d’infirmières aux urgences. Problèmes d’organisation et de tension cumulés. Tous les fantasmes se sont nourris en particulier l’idée que l’on voulait sournoisement supprimer les urgences par apoptose…
La réalité c’est qu’il faut prendre le sujet par la racine qui est la question de l’organisation du travail, notamment pour trois services qui sont en difficulté particulière (la néphrodialyse, l’oncologie et les urgences). Pour cela, nous avons fait appel à une mission de l’ANACT. La question des conditions de travail est déterminante pour l’attractivité des professionnels. C’est pourquoi elle sera également au cœur de mes priorités.
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