Encadrement de la rémunération des médecins intérimaires : les contrats de motif 2 permettent-ils de contourner la loi Rist ?

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Publié le 21/04/2023
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Crédit photo : S.Toubon

C'est suite à la fermeture de la maternité de Sarlat (Dordogne), qui fonctionnait avec 70 % d'obstétriciens en intérim, que le directeur de l'ARS Nouvelle Aquitaine s’est résolu à « utiliser au maximum des contrats de motif 2 permettant de mieux rémunérer les praticiens », à hauteur de 1 800 euros la garde. Une « parade » similaire a été utilisée en Bretagne, où des hôpitaux proposent des contrats de motif 2, « intégrant des frais de mission et de bouche », afin de « fidéliser leurs intérimaires réguliers », rapporte Ouest-France.

De quoi s’agit-il ? Dans le cadre de la réforme en 2021 du statut des praticiens contractuels, qui a fusionné les anciens statuts de praticien contractuel, de praticien attaché et de clinicien, le ministère a créé quatre motifs de recrutement de contractuels. Le contrat de motif 2 suppose « qu’il existe des difficultés particulières de recrutement ou d’exercice des praticiens, pour une activité nécessaire au maintien d’une offre de soins sur un territoire donné », précise le ministère.

Il ajoute qu’il appartient au directeur de l’ARS de caractériser ces situations, « en fonction de la réalité de l’offre de soins et du diagnostic territorial établi ». En tenant compte des critères dont « la spécialité considérée, la démographie médicale, la nécessité d’assurer une permanence des soins, le bassin de population », précise l'avenue de Ségur.

Contournement de la loi Rist ?

Si le motif de recrutement de ce type de contrat peut, à première vue, sembler légitime, le niveau de rémunération proposé pose question. En particulier depuis la mise en œuvre de l’article 33 de la loi Rist, qui fixe le plafond de la rémunération des intérimaires médicaux à 1 390 euros brut pour 24 heures de garde. Un plafond qui ne s’applique pas aux plafonds des contrats de motif 2 qui sont passés de gré à gré entre le praticien et l’établissement, ce qui pourrait donner le sentiment que la loi est contournée.

Contrairement à ceux passés avec les agences d’intérim, les contrats de motif 2 « sont liés à la grille des praticiens contractuels ». Leur plafond est fixé à 119 130 euros brut par an (incluant une part variable en fonction de l'atteinte d'objectifs, NDLR), soit « au-dessus de la rémunération moyenne d’un PH titulaire en milieu de carrière (échelon 6) : aux alentours de 85 000 euros 1 », précise Sophie Marchandet, responsable du pôle RH de la Fédération hospitalière de France (FHF).

Si l’on ajoute les gardes, ces praticiens contractuels pourraient gagner « jusqu’à 150 000 euros brut par an, soit un salaire mensuel de 12 500 euros, c’est-à-dire le double de celui d’un PH qui fait 8 gardes par mois… », alerte de son côté le Dr Jean-François Cibien, le président de l’intersyndicale Action praticiens hôpital (APH).

Manque de clarté sur la durée des contrats

Des rémunérations qui seraient « mal vécues » par les PH titulaires dont le salaire se situe « autour de 5 000 euros brut par mois, indemnité d'engagement de service public exclusif (IESPE) comprise », abonde la Dr Anne Geffroy-Wernet, la présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs élargi (Snphare), qui dénonce une « ubérisation des carrières hospitalières ».

Quant au Dr Cibien, il considère que le gouvernement « a donné la possibilité aux directeurs d’hôpitaux de transformer les anciens contrats de cliniciens en contrats de motif 2 en raison du manque d’attractivité du métier ». D’autre part, ces contrats, qui sont « normalement prévus sur des périodes déterminées (congés maternité, arrêt maladie…) » sont parfois « signés sur une durée de trois ans », poursuit le président d’APH qui observe une « épidémie de contrats de motif 2 » depuis l’entrée en vigueur de la loi Rist.

Mais quelle est la durée moyenne de ces fameux contrats ? Si la réglementation ne fixe pas de durée minimale, ceux-ci « ne peuvent être utilisés pour des vacations de durée courte (ex : 24h ou 48h) », détaille le ministère. « En règle générale, les contrats de motif 2 sont de durée moyenne. Ils sont conclus pour une durée de trois ans maximum, renouvelables une seule fois, contrairement aux contrats d’intérim qui correspondent à des missions courtes », confirme Sophie Marchandet.

La faute des ARS ou des directeurs ?

En Nouvelle Aquitaine, le directeur général de l’ARS a d’ailleurs proposé « des CDD d’un mois comprenant au moins quatre gardes. L’objectif est de procéder par étapes en commençant par couvrir avril », rapporte « Le Monde ». Le DG espère aboutir en mai à « des engagements de quatre à cinq mois, pour passer la période des ponts et, après, tenir l’été ». Selon lui, il ne s’agit ni de « dérogations » ni même d’une « nouveauté ».

Il n’empêche que le flou demeure sur la « durée moyenne » de ces contrats. Raison pour laquelle la FHF exige une clarification de ses règles. « Il faut un bornage plus précis sur la durée de ces contrats qui ne devraient pas être inférieurs à trois ou six mois », plaide Sophie Marchandet qui exige également pour une revalorisation des titulaires pour « diminuer les différences salariales entre praticiens ».

Le Dr Cibien milite aussi pour redonner de l’attractivité aux carrières de PH, « plutôt que de courir après les conséquences de la perte d’attractivité ». Selon lui, si les salaires des titulaires étaient revus à la hausse, « on n’aurait pas 40 % de postes vacants dans les CH dits généraux et 15 % de postes vacants dans les CHU ». Il exige donc que les rémunérations des PH titulaires sont « augmentées de 20 % », à l’image du plafond de l’intérim qui a été récemment réévalué de 20 %.

Mais ce n’est pas autant que le recours aux contrats de motif 2, comme en Nouvelle Aquitaine, lui paraît injustifié. « Le directeur général de l’ARS a autorisé sur un temps donné le dépassement du plafond pour maintenir la maternité ouverte. Cela ne choque pas, du moment que c’est transparent et annoncé », argumente le Dr Cibien. À condition que ces contrats aient « des périodes déterminées, relativement courtes ». Or, un certain nombre de directeurs d’hôpitaux « proposent des contrats qui manquent de clarté », constate l’urgentiste d’Agen.

Le Syndicat des Managers Publics de Santé (SMPS) ne dit pas autre chose, à la différence près que ce seraient les ARS qui manqueraient de clarté  Il réclame en effet que les contrats de motif 2 fassent l’objet de « chartes établissements-ARS, de contrôles approfondis des ARS ». Selon le syndicat, certaines d’entre elles « laissent signer des contrats au-delà du plafond et sans règles claires, quand d’autres contrôlent rigoureusement chaque contrat signé ». Une instruction serait d'ailleurs en cours de travail. Pour le SMPS, il devient « urgent qu’elle soit publiée ».

1) 70 000 euros + prime IESPE.


Source : lequotidiendumedecin.fr