Le parcours du combattant continue. Sous une pluie fine, quelques dizaines de Padhue, ces praticiens à diplôme hors Union européenne exerçant en France, se sont retrouvés mardi, avenue Duquesne, devant le ministère de la Santé. Leur espoir ? Faire bouger les lignes et obtenir enfin une régularisation et un statut pérenne leur ouvrant la voie au plein exercice.
Pour les praticiens non-lauréats des épreuves de vérification des connaissances (EVC), la loi Valletoux de fin 2023 a certes introduit une dérogation d’exercice temporaire (13 mois maximum, renouvelable une fois) sous la forme d’un nouveau statut de praticien associé contractuel temporaire (Pact). Mais selon plusieurs syndicats et collectifs de Padhue, ce dispositif dérogatoire les maintient dans la précarité et l’incertitude. Ils ont deux ans pour passer et réussir coûte que coûte les prochaines épreuves EVC et s’ils échouent, ils ne seront plus dans la légalité. Quelque 4 200 Padhue sont aujourd’hui dans une situation d’échec à ces épreuves.
Le Dr Ahmed Belkacem, 55 ans, psychiatre, a travaillé en Algérie pendant 23 ans et exerce en France depuis septembre 2019. Il explique avoir été pris de court par ce nouveau statut proposé et l’obligation, en tout état de cause, de passer le concours… « On ne savait pas pour le Pact, donc je n’ai pas passé les EVC. Auparavant, nous n’avions que trois chances. Je n’allais pas le passer sans être sûr de moi ». Responsable de deux unités de psychiatrie au CH de Gonesse, il déplore une situation ubuesque. « Fin décembre, je n’aurai toujours pas de poste, soupire-t-il. J’ai pourtant prouvé mes connaissances, cela fait des années que j’exerce. Ce statut est une idée remaquillée qui maintient la précarité. J’aimerais mieux une “loi stock” avec une régularisation des médecins sur dossier. »
« C’est vraiment difficile de préparer un concours tout en travaillant
Le Dr Mehdi Boudghene
Les difficultés concernent aussi les médecins qui ont passé les épreuves, unanimes et amers pour dénoncer le parcours d’obstacles – révisions, EVC puis parcours de consolidation des compétences – qu’ils doivent affronter en dépit de leur longue expérience dans les hôpitaux.
Le Dr Djamel Yaha, 53 ans, praticien attaché associé, anesthésiste-réanimateur en France depuis 2021 au Grand hôpital de l’Est Francilien (GHEF) a exercé en Algérie pendant plus de dix ans, avant d’effectuer plusieurs stages en France depuis 2009 dans des hôpitaux franciliens. Pour ce médecin, il est extrêmement difficile de réviser tout en travaillant. « Quand on est entré dans le travail, c’est un cercle vicieux. Chaque année, je fais aussi un DU, c’est très important dans mon exercice. Il y a une charge de travail énorme avec la préparation des DU, il faut s’occuper des enfants. Il y a peu de temps pour préparer un concours. »
Cette quadrature du cercle est aussi racontée par le Dr Mehdi Boudghene, 45 ans, originaire d’Algérie, faisant fonction d’interne (FFI) à l’hôpital d’Evreux. Sa femme, ophtalmologue, a elle réussi les EVC. Il a décidé de la suivre, arrivé en France en tant que FFI, il y a 4 ans. Médecin généraliste spécialisé en diabétologie, il a malheureusement échoué aux EVC à deux reprises. « C’est vraiment difficile de préparer un concours tout en travaillant, témoigne-t-il aussi. Je suis un cas concret ! Ma femme l’a réussi car elle avait davantage le temps de le passer ».
Critères nébuleux
Beaucoup dénoncent cette pression permanente pour des praticiens qui ont établi de longue date leur vie personnelle et professionnelle en France. « Si on échoue au bout de deux tentatives, il ne restera que deux possibilités : retourner dans son pays d’origine pour pratiquer la médecine si on y tient à tout prix ou une reconversion en cadre de santé, infirmier ou autre chose », se désole ce médecin.
Un autre point irrite certains Padhue concernés : les critères d’évaluation aux EVC, jugés nébuleux, voire injustes. « Nous ne savons pas sur quels critères nous sommes jugés. Et quand on échoue, il n’y a pas de correction, on ne sait pas ce qu’on attend de nous, pointe ce quadra, cheveux poivre et sel. Je préfèrerais un dossier étudié par une commission. Une “loi stock” mieux encadrée avec des parcours de consolidation des compétences adaptés à chaque profil. » Une autre médecin trentenaire, anesthésiste à l’hôpital de Gonesse, partage cet avis. « Moi, je suis en France depuis deux ans, ce statut n’apporte rien. Nous sommes condamnés pendant deux ans. J’ai raté les EVC, c’est un concours qui ne reflète pas le niveau des praticiens. J’aimerais mieux qu’on soit évalués sur le terrain. On pourrait imaginer un examen théorique mais pas de concours. »
Je veux travailler au lieu de toucher les aides
Une médecin Padhue
D’autres manifestants entrevoient malgré tout une lueur d’espoir avec l’autorisation d’exercice temporaire et le statut Pact associé. C’est le cas d’Amina, ORL, qui a travaillé 13 ans en Algérie. Elle est arrivée en tant que FFI en novembre 2022, a sa carte de résidence mais s’est retrouvée au chômage puis au RSA. Recalée aux EVC, elle n’arrivait pas à décrocher un poste. « Mais je veux travailler au lieu de toucher les aides, confie-t-elle. Je voudrais en apprendre davantage sur ce nouveau statut. »
Si les revendications sont partagées, la grève ne fait toujours pas l’unanimité parmi les représentants de Padhue. « Cette grève est inutile, explique le Dr Slim Bramli, président de la Fédération des praticiens de santé (FPS, membre de l’INPH). Ce sont des associations qui manifestent, pas vraiment des syndicats. Nous, cela fait des mois que nous négocions avec la DGOS [ministère] et le cabinet. »
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