LE QUOTIDIEN : Quel bilan dressez-vous depuis votre arrivée au poste de directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) en juin 2021 ?
FRANÇOIS CRÉMIEUX : Ma première volonté était de retrouver une gouvernance hospitalo-universitaire qui soit la plus constructive possible. Je suis arrivé en même temps que le nouveau président de la commission médicale d'établissement, le Pr Jean-Luc Jouve. Nous avons constitué un binôme que je trouve efficace à la fois pour gérer le quotidien hospitalier comme les enjeux de recrutement après cette période Covid difficile, mais aussi pour porter les projets stratégiques de long terme comme le plan de modernisation de l’AP-HM et les grands investissements à venir.
Comment avez-vous géré l'affaire Raoult à l'IHU Méditerranée ?
Cet établissement était victime de graves dysfonctionnements internes en termes de management, de gouvernance et de conduite des projets de recherche. Si j’ai de mon côté retiré toute responsabilité au Pr Didier Raoult, avec les autres membres fondateurs, notamment Aix Marseille Université, nous avons surtout renouvelé la gouvernance de l’IHU, notamment son conseil d’administration avec une nouvelle présidente de l'IHU Emmanuelle Prada-Bordenave [qui a remplacé Yolande Obadia, une proche du Pr Didier Raoult] et sous sa responsabilité, l’équipe de direction se renouvelle progressivement, le Pr Pierre-Edouard Fournier a remplacé Didier Raoult. Ces changements, mais aussi des évolutions nécessaires dans la conduite des projets de recherche ont conduit l’ANSM a autorisé l’IHU fin octobre à reprendre les essais cliniques. Il reste encore beaucoup à faire pour que l’IHU retrouve son leadership dans le domaine des maladies infectieuses.
Comment composez-vous avec l'endettement de votre CHU ?
Entre 2005 et 2015, l’AP-HM a accumulé plus d’un milliard d’euros de dettes, puis cette dette s’est globalement stabilisée. En 2021, nous sortions de trois années à l’équilibre, après cette décennie de forts déficits. Le défi financier est donc de conduire nos projets de rénovation avec ce poids du passé qui limite drastiquement notre capacité d’emprunt alors même que nos bâtiments datent pour certains des années soixante. Cette année, la situation budgétaire se détériore fortement à cause de l’inflation (pour un coût de 25 millions d’euros), des mesures de revalorisation salariale – environ 25 millions d’euros également – et l’augmentation des taux d’intérêt pour environ 7 millions d’euros.
Avez-vous des services médicaux en forte tension ?
Grâce à un fort regain d’attractivité pour les paramédicaux, ça va mieux. La situation reste fragile en pédiatrie où nous retrouvons juste notre pleine capacité d’hospitalisation mais où il est difficile de recruter des infirmiers surtout de nuit. Nous abordons néanmoins l’hiver et ses épidémies plus sereinement que l’hiver dernier. Le dernier trimestre nous permet de réouvrir environ 70 lits. Les urgences adultes et pédiatriques sont parvenues à recruter médecins et paramédicaux, mais nous restons le recours de services d’urgences fragilisés sur le territoire.
Comment la situation s’est-elle rétablie aux urgences ?
En 2021, le manque de médecins urgentistes (15 au lieu 30 à Timone) avait défrayé la chronique. Aujourd’hui, grâce à l'énorme travail des deux nouvelles cheffes de service et de leurs équipes, nous sommes presque au complet ! Les praticiens sont plus nombreux, donc les gardes moins fréquentes et moins lourdes et d’autres rejoindront bientôt les équipes. Un cercle vertueux d’attractivité médicale s’est installé. Globalement pour l’AP-HM, les choix des internes à l’ECN témoignent d’ailleurs de cette attractivité avec l’amélioration du rang de choix de notre CHU.
Comment gérez-vous les inégalités de santé propres à Marseille ?
Marseille est confrontée à une fracture territoriale bien connue entre quartiers populaires au nord et plus riches au sud. Cette fracture et surtout ses conséquences en termes de santé sont une forte préoccupation pour l’AP-HM avec ses quatre grands sites, dont l’hôpital Nord. Notre ambition est de remédier à ces inégalités sociales et territoriales de santé en déployant dans les quartiers populaires une offre de soins de premier recours.
Après une expérimentation, une simple « consultation avancée » de l’AP-HM dans les quartiers nord, a été transformée le 1er janvier 2022 en un centre de santé, suivi par l’ouverture d’un deuxième en novembre 2023 et bientôt la reprise en gestion d’un troisième. Ces centres de santé rétablissent une offre de soins de médecine générale et, j’espère, redonneront de l'attractivité à ces territoires pour l’installation d’autres professionnels de santé.
Outre l’accès aux soins, la mission d’un grand CHU est aussi de soutenir la politique de prévention avec l’ensemble des partenaires. Nous avons l’expertise à travers les pôles de santé publique et une capacité d’action importante grâce à nos équipes hospitalières.
Dans une tribune au Monde de février 2022, vous vous opposiez à la reprise de centres de la Croix Rouge par le groupe privé Ramsay ? Ne faites-vous pas de même avec ces centres ?
Je ne m’opposais pas. J’alertais. Ramsay est un grand groupe financier australien qui investit dans des cliniques et centres de santé en France. La Croix Rouge me paraissait à l’opposé en termes de valeurs, de lien avec les patients ou d’ancrage dans nos territoires. Dans son dernier rapport au Parlement, l’assurance maladie alerte aussi sur ce qu’elle nomme le risque de « financiarisation » de notre système de santé : biologie, imagerie, soins de premier recours… Mais il ne suffit pas de dire que cette financiarisation de la santé est un risque, il faut aussi organiser l’alternative : c’est ce que nous faisons dans les quartiers Nord où il ne doit y avoir ni une médecine privée low cost, ni une médecine financiarisée, ni exclusivement une médecine humanitaire. Le service public doit y assumer ses missions, comme ailleurs.
Faut-il être de gauche pour faire votre job ?
Certainement pas. De gauche ou de droite, il faut simplement croire que le service public peut et doit assumer ses missions, partout sur le territoire et pour tous. Je me suis récemment exprimé sur l’Aide médicale d'État, un sujet politique certes mais aussi pragmatique en termes de santé publique. Si demain l’AME était supprimée, les conséquences pour l’hôpital public seraient terribles. L’AME rémunère le travail des professionnels de santé, libéraux et hospitaliers, quelles que soient leurs couleurs politiques ! Le sujet de l’AME, c’est d’abord : que vont devenir les malades qui en bénéficient ? Que vont devenir les professionnels qui les prennent en charge ? Et comment l’hôpital public et ses urgences auraient à assumer une éventuelle réforme ?
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