« L’argent de l’hôpital, il est dans les paradis fiscaux », « si l’hôpital n’embauche pas, ton cancer attendra », pouvait-on lire ce vendredi sur les pancartes de la centaine de manifestants réunis devant le ministère de la Santé. À l'occasion de la Journée mondiale de la santé, les hospitaliers en colère avaient fait le déplacement pour défendre le système de santé public et les conditions de travail mais surtout pour dénoncer « la marchandisation de la santé » dans de nombreux pays.
« Depuis les années 70/80, les conditions de vie des Français se dégradent. On met de plus en plus la pression sur les salariés », explique le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Conséquence, « les pathologies et troubles psychologiques grimpent en flèche », y compris chez les soignants, observe l’urgentiste du Samu 93. D’où l’importance de « redonner du sens au travail des professionnels » mais aussi de « sortir de la logique productiviste de la tarification à l’activité », plaide une fois encore le Dr Prudhomme. Sous peine de suivre la même voie que les États-Unis, où « l’espérance de vie est passée en dessous de celle de la Chine depuis 2021 », rappelle l’urgentiste.
Problématique européenne
La France est loin d’être un cas isolé. Nombre de gouvernements européens (Espagne, Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, etc.) ont « essayé de réduire les dépenses de personnel », observe la Dr Anne Gervais (AP-HP), également mobilisée. Hépatologue et gastro-entérologue, membre du collectif inter-hôpitaux (CIH), elle rappelle qu’un million de soignants (paramédicaux, médecins, brancardiers) ont manifesté il y a quelques semaines en Espagne pour défendre le système de santé public.
En Grande-Bretagne, le personnel du NHS est également à l’origine d’un mouvement de grève inédit pour réclamer de meilleures conditions de travail et salariales. Des revendications que l’on retrouvait aujourd’hui dans toutes les bouches des représentants des syndicats européens, dans un film diffusé par la CGT.
« Coupables de l’effondrement de l’hôpital »
La veille, des dizaines d’organisations du secteur de la santé s’étaient donné rendez-vous à la Bourse du travail (Paris) pour scénariser le « procès » des politiques de santé. À l’origine de cette justice fictive, un appel publié dans « L’Humanité », signé par une quarantaine de syndicats, associations d'usagers de la santé, collectifs citoyens et organisations politiques.
Sur le banc des accusés, Emmanuel Macron et les « gouvernements précédents », tous coupables d’avoir mis « en péril la santé de la population, dans toutes ses dimensions, physique, psychique et sociale », a souligné le faux procureur. À la barre, les représentants des organisations signataires ont, à tour de rôle, accusé les gouvernements successifs d’avoir organisé la « casse de l’hôpital public », supprimé « massivement » des lits, « démantelé » les hôpitaux de proximité, etc.
Porte-parole du collectif inter-hôpitaux (CIH), le Dr Olivier Milleron a évoqué la question du financement de l’hôpital. Selon le cardiologue de Bichat (AP-HP), trois actes « coupables » ont contribué à la mise en place d’un système « diabolique » : la création de l'objectif national des dépenses d'assurance-maladie (Ondam) en 1995, sous le gouvernement Juppé, la tarification à l’activité (T2A) en 2003, sous le gouvernement Fillon et la loi Hôpital patients santé territoires (HPST) de Roselyne Bachelot en 2009.
Pour le Dr Milleron, les ministres de la Santé, les premiers ministres et les présidents de la République successifs sont, depuis 1995, « coupables de l’effondrement de l’hôpital public et de la mise en danger des patients qui en découle ». Un effondrement qui s’accélère depuis une dizaine d’années : « 10 % des hôpitaux publics et 13 % des lits ont été fermés ». La production de soins de l’hôpital « a augmenté de 14,6 % alors que les effectifs n’ont augmenté que de 2 % », rappelle le cardiologue.
Patrick Pelloux s'en mêle
Quelques minutes plus tôt, le Dr Patrick Pelloux (Amuf) était passé lui aussi à la barre pour évoquer la crise des urgences. Pour le célèbre urgentiste, la crise sanitaire a « révélé aux yeux de tout le monde que les politiques des 20 dernières années étaient un fiasco humain pour les malades et les familles ». Le médecin en veut notamment au Pr Jean-François Mattei d’avoir mis fin en 2002 à l'obligation de gardes pour les médecins libéraux. Conséquence : l’hôpital a, selon lui, dû assumer l’essentiel des contraintes tandis que la « médecine de ville et les cliniques ont fait ce qu’elles voulaient ».
Photo : Julien Moschetti
Pour l’urgentiste, les gouvernements successifs sont responsables de la « destruction progressive » du service public de santé. Dernier exemple, l’été dernier, quand « on a fermé pour la première fois les services des urgences la nuit, enrage le Dr Pelloux, ce qui est antithèse d’un service des urgences ».
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