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Dossier

Révision des recommandations de la HAS

Maladie de Lyme, une controverse toujours passionnée

Par Elsa Bellanger - Publié le 05/03/2020
Maladie de Lyme, une controverse toujours passionnée

L’organisation du Plan permet aussi une plus grande visibilité de la recherche
Phanie

Les recommandations de la Haute autorité de Santé (HAS) sur la maladie de Lyme, qui coexistent avec celles émises par 24 sociétés savantes, seront revues d’ici à l’été. La mise en œuvre d’un Plan dédié aux maladies vectorielles à tiques en 2016 et la mise en place de centres de référence ne sont pas parvenues à dépassionner le débat entre associations de patients et professionnels de santé.

Après des mois de coexistence de deux textes concurrents sur la borréliose de Lyme et les autres maladies vectorielles à tiques (MVT), l'une émise par la Haute autorité de Santé (HAS) et la seconde validée par 24 sociétés savantes, le « processus de rédaction » des recommandations « avec toutes les parties prenantes » sera relancé « en mars pour une finalisation à l’été », indiquait la Direction générale de la santé (DGS), dans un communiqué, le 21 février.

La situation actuelle est « dommageable et dérangeante », déplore, auprès du « Quotidien », le Pr Pierre Tattevin, président de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) et coordonnateur d’un des cinq Centres de référence pour la prise en charge des maladies vectorielles à tiques (CRMVT), actifs depuis le début l’année.

La forme chronique au cœur des débats

Ces centres sont chargés, avec les centres de compétences qui leur sont affiliés, de la prise en charge des patients atteints notamment de la maladie de Lyme, dont le nombre de cas a connu une « augmentation significative » en 2018. Selon les données de Santé publique France (SPF) et du réseau Sentinelles, le nombre de cas diagnostiqués a atteint 104 cas pour 100 000 habitants en 2018 (soit plus de 67 000 cas), contre 69 pour 100 000 en 2017 (environ 45 000 cas).

Censées encadrer la prise en charge des patients atteints de la borréliose de Lyme et des autres MVT, les recommandations actuelles, émises en 2018, sont contestées, notamment par la SPILF. Cette dernière, très critique sur le chapitre consacré à la « symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après piqûre de tique, ou SPPT », avait refusé de les valider pointant leur « manque de clarté ». En cause ? La reconnaissance d’une forme chronique de la maladie de Lyme, réclamée par les associations de patients, comme Lyme sans frontières ou France Lyme.

Pour réconcilier patients et professionnels de santé, les pouvoirs publics avaient lancé, en 2016, un « Plan national de prévention et de lutte contre la maladie de Lyme et les maladies transmissibles par les tiques », dont la mission était de « répondre concrètement aux inquiétudes légitimes exprimées par les citoyens ». Cinq priorités étaient visées : surveillance vectorielle, surveillance et prévention des maladies transmissibles par les tiques, uniformisation de la prise en charge des patients, tests diagnostiques et promotion de la recherche.

Un comité de suivi jugé « politique »

Pour suivre ce plan, des comités de pilotage réunissent régulièrement les acteurs institutionnels (DGS, DGOS, ANSES, Santé publique France, ANSM, HAS, SPILF et AVIESAN) et accueillent deux fois par an les associations de patients et la Fédération française des maladies vectorielles à tiques (FFMVT). Mais cette dernière disposition est critiquée.

« La composition de ce comité, avec une surreprésentation des associations, est politique et non médicale », regrette le Pr Éric Caumes, infectiologue, chef du service maladies infectieuses et tropicales à la Pitié-Salpêtrière (AP-HP).

« Le comité réunit des associations de patients très remontées et des parlementaires : ce n’est pas un cadre adapté pour rétablir le dialogue », estime également le Pr Pierre Tattevin, qui constate une politisation du sujet. « Plusieurs réunions sont programmées en mars à l’Assemblée nationale avec l’objectif de faire reconnaître la forme chronique de la maladie de Lyme. Ce devrait être un sujet de santé, mais on sent qu’il y a suffisamment de leviers pour déplacer le débat vers des enjeux politiques », poursuit le président de la SPILF.

Du côté de la FFMVT, qui regroupe des chercheurs, des patients et certains médecins appelés « Lyme doctors », on pointe l’absence d’avancée à l’issue du sixième comité de pilotage, fin janvier : « Absolument rien n’a été décidé pour faire évoluer la situation », jugeait, auprès de l’AFP, le directeur de recherche émérite, Alain Trautman, membre du conseil scientifique de la FFMVT, qui désapprouve la non-application des recommandations de la HAS et la confusion qu’apportent celles émises par la SPILF.

Un début d'homogénéisation des pratiques

Malgré ce contexte, le Plan national se met en œuvre. Les cinq CRMVT (1) ont commencé leur activité au début de l’année. Chargés de prendre en charge les cas complexes, ils chapeautent les centres de compétences hospitaliers qui proposent des consultations pluridisciplinaires. Ce réseau de prise en charge a entamé un travail d’homogénéisation des pratiques et de partage des connaissances (cf entretien). Des fiches de recueil des observations identiques sur tout le territoire vont par exemple être mises en place et vont permettre d’« alimenter une base de données » nationale, fait valoir le Pr Pierre Tattevin.

S’il se félicite de la création d’un espace « formalisé » pour le partage d’expérience et l’expertise, il regrette l’absence de financement accordé aux centres de compétence, contrairement aux centres de référence. « Des structures hésitent à se faire reconnaître comme centre de compétence en l’absence de ressources dédiées », observe-t-il.

L’organisation du Plan permet par ailleurs une plus grande visibilité de la recherche. Le sixième comité de pilotage a permis de recenser l’ensemble des projets s’intéressant à la maladie de Lyme. « Quarante-six projets sont en cours. Cela représente plusieurs millions d’euros. Ce n’est pas ridicule, même si les associations attendent plus », commente le Pr Pierre Tattevin.

(1) Les centres régionaux de référence de la maladie de lyme sont : le CHU de Clermont-Ferrand (associé au CHU de Saint-Étienne) ; les CHU de Rennes,  et de Marseille, le CHU de Strasbourg (associé au CHU de Nancy), et le groupe hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges (associé au CHU de Créteil).

Elsa Bellanger