Signes religieux, barbe et… charlotte ! Le petit guide de l'AP-HP pour être dans les clous de la laïcité

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Publié le 12/12/2023

Crédit photo : S.T.

Dans la foulée de la troisième édition de la journée de la laïcité, le 9 décembre, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a actualisé à l'intention de ses 100 000 salariés – dont 12 000 médecins – un guide pratique de la laïcité, sujet de première importance pour le CHU francilien. Objectif : clarifier par des exemples concrets (et parfois surprenants) de la vie quotidienne à l'hôpital, les droits et les obligations des personnels et des usagers.

Dans les grandes lignes, le respect du principe de laïcité s'impose à tout agent public, tenu à une stricte obligation de neutralité. Il est strictement interdit aux agents de manifester leurs opinions ou préférence en matière religieuse, par leur comportement, leurs propos ou leurs tenues vestimentaires. Les étudiants sont aussi soumis au devoir de neutralité à l'hôpital (mais pas à l'université).

Signe religieux « par destination »

Premier enseignement : « Tout signe peut devenir religieux par la volonté de celui qui le porte ». Une charlotte, un gant, un masque chirurgical, s'il est « détourné » de son utilité première, peut devenir un « signe religieux par destination ». Ainsi, une infirmière qui exerce dans un service qui n’exige pas le port au quotidien d'une charlotte mais qui s'affuble de ce couvre-chef pour des motifs religieux risque une procédure disciplinaire « sur le fondement du devoir d'obéissance ».

Un brancardier ne peut porter un signe religieux ostensible et identifiable par les patients alités sous son nez. C'est une violation du principe de neutralité.

Mais un médecin qui porte une barbe « particulièrement imposante » pourra la conserver en toute légalité, au principe qu'elle ne constitue pas un signe d'appartenance religieuse ostensible. Le médecin sera donc dans les clous de la laïcité.

Les propos et les comportements à caractère religieux ne sont pas tolérés dans l'enceinte hospitalière, que les agents soient en contact ou non avec les patients ou leurs familles. Même un employé chargé des espaces verts ne peut pas tenir de discours religieux.

Chapelle interdite pour les soignants

Le prosélytisme est proscrit. Un médecin chef de service qui profite de son autorité pour distribuer à son équipe des documents à caractère religieux peut se retrouver sous le coup d'une procédure disciplinaire.

La pratique religieuse est également encadrée. Pas question de profiter de sa pause pour se rendre à la chapelle de l'hôpital. Celle-ci est dédié aux patients, pas aux agents, qui n'ont pas le droit de prier de façon ostentatoire sur leur lieu de travail, même en dehors du temps de travail et sans tenue professionnelle, « car demeure le risque qu'un usager reconnaisse le professionnel ». 

Les comportements discriminatoires pour motifs religieux sont interdits. Un agent refuse de serrer la main de ses collègues féminines pour raison religieuse ? Une infirmière refuse de soigner un patient au motif de sa religion ? Tous deux s'exposent à une procédure disciplinaire.

L'affaire se corse pour les médecins, qui peuvent faire jouer leur clause de conscience. Pour autant, « l'invocation de la clause ne peut servir de prétexte à des discriminations, et ne doit pouvoir être interprétée comme une pratique discriminatoire »

Culte diurne pour les patients

Coté patients, les règles sont également légion, au risque, peut-être, d'entraîner de la complexité voire de l'incompréhension. Une personne hospitalisée peut pratiquer son culte dans sa chambre mais, si la chambre est double, la prière diurne doit être privilégiée. Car si la chambre est considérée comme un lieu privé au même titre que le domicile, les propos et comportements religieux d'un patient sont tolérés « dans la limite du respect des règles d'hygiène, de sécurité et des consignes relatives aux soins qu'il reçoit ». Au même titre qu'une télévision allumée pendant la nuit peut constituer une nuisance, la « tranquillité » et la « liberté religieuse » des compagnons de chambrée doivent être prises en considération.

Une patiente a le droit de porter dans les couloirs de l'hôpital un foulard ou un autre signe d'appartenance religieuse. Mais elle ne peut pas toujours récuser un agent ou un médecin pour motif religieux. Ce refus peut être motivé au regard des effectifs disponibles et s'il est compatible avec le bon fonctionnement du service. Au sein d'un service d'assistance médicale à la procréation, une patiente qui refuse l'intervention d'un praticien homme pour réaliser des soins verra sa demande possiblement satisfaite. Mais une patiente en dialyse qui refuse que l'infirmière présente en salle de soins l'installe dans son fauteuil en faisant explicitement référence à son appartenance religieuse verra sa demande déboutée. Motif : « Il s'agit d'un agissement discriminatoire non compatible avec le fonctionnement du service public hospitalier ».

Anne Bayle-Iniguez

Source : lequotidiendumedecin.fr