Dr Uzzan, ancien responsable à la prison de Château-Thierry

Un psychiatre répond au Contrôleur général des lieux de privation de liberté

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Publié le 07/09/2017
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LE QUOTIDIEN : Quel est le profil des personnes détenues à Chateau-Thierry ?

Dr GILLES UZZAN : Ces détenus n'ont pas été considérés comme irresponsables, pénalement. Mais ils présentent des troubles du comportement sous-tendus par des troubles de la personnalité, plus que par des maladies mentales. Ils arrivent à Château-Thierry sur ordre administratif, car leurs troubles sont difficilement gérables dans les autres établissements*. 

Le CGLPL note que trois psychiatres se partagent 90 % d'un temps plein et regrette l'absence de psychiatres les mardis, jeudis, et vendredis matins. 

Nous avons créé l'Unité médico-psychologique ambulatoire (UMPA) dans le cadre du pôle médico-judiciaire et d'addictologie instauré en 2008 avec la direction de l'EPSMD, pour renforcer l'équipe soignante en psychiatrie. Elle est composée de 0,9 ETP de psychiatres, 0,1 d'addictologue, deux psychologues, un éducateur, un ergothérapeute, une équipe infirmière. Nous avons rapidement été confrontés à des difficultés de recrutement au niveau des praticiens hospitaliers, si bien que nous avons dû recruter dans le privé, des contractuels. Malgré leur bonne volonté, certains ont craqué. Mais c'est faux de dire qu'il n'y avait aucun psychiatre certains matins, même s'il y a certainement eu des périodes de vide, en raison de cette difficulté à recruter des psychiatres en prison. 

Le rapport vous reproche, en tant que chef de pôle, de ne vous rendre qu'exceptionnellement à Château-Thierry. « Censé assurer une consultation d'addictologie par semaine, il a vu 12 patients en 2013, et aucun en 2014 », lit-on. 

J'assistais une fois par mois à la réunion institutionnelle avec l'équipe et je venais parfois, en tant que psychiatre, remplacer des médecins. Le pôle médico-judiciaire a perdu l'addictologie en 2014 (confiée au médecin généraliste). C'est pourquoi il n'y a pas d'activité d'addictologie en 2014. Quant à 2013, je n'ai vu que 12 patients, car je n'étais pas affecté spécialement à Château-Thierry. Mon affectation à temps plein était à l'USIP et en tant que chef de pôle, je tournais entre la prison de Laon, l'USIP de Prémontré, et, à 40 km, Château-Thierry.

Les contrôleurs observent une confusion des rôles entre l'administration pénitentiaire (AP) et les services médicaux, à l'origine d'une atteinte permanente au secret médical, notamment lors de la distribution des médicaments ?   

Les infirmiers étaient en charge de la distribution des médicaments, à l'infirmerie, ou dans les cellules, et les agents n'y entraient pas. Dans le couloir de l'infirmerie, un surveillant appelait les détenus, mais sans connaître la nature de leur traitement. Il est en effet arrivé qu'il porte une blouse blanche, initialement pour rassurer les détenus ; je le reconnais, cela n'était pas une bonne idée, on y a mis fin après le passage de Christiane Taubira, en 2013.

Nous sommes dans le secret partagé : le médical et la pénitentiaire échangent régulièrement au sujet de détenus présentant des troubles, mais dans le respect du secret médical. Un diagnostic n'est jamais donné devant l'AP. 

Le CGLPL dénonce le recours fréquent à la force pour pratiquer des injections, avec des surveillants équipés de tenues pare-coups et de boucliers, une « pratique contraire à la dignité des patients » et « illégale », car les soins sous contrainte sont interdits en prison.

La loi du 5 juillet 2011 autorise une première injection au centre pénitentiaire de Château-Thierry sur une personne détenue qui refuserait la prise d'un traitement oral si elle est très agitée et potentiellement dangereuse pour elle-même ou autrui. Une demande d'hospitalisation doit être concomitante. C'était ce qui était en général fait. L'injection préparait l'hospitalisation sous contrainte et calmait le patient le temps du transfert à l'USIP, où la démarche d'incitation aux soins était poursuivie.

En prison, il me semble qu'un programme de soins sous contrainte, comme ce qui existe à l'extérieur, fait défaut. Cela nous permettrait de contraindre une personne à prendre son traitement, en étant couvert par la loi, et sans extraction. Sinon, nous sommes dans un vide juridique. C'est vrai qu'il y a eu des patients qui ont eu des injections retard pour faciliter la compliance thérapeutique. Quand un patient refuse son traitement, malgré nos incitations, on le fait hospitaliser, parfois de façon programmée, ne serait-ce que le temps de l'injection, pour éviter les risques de décompensation ou de souffrances psychiques liés à la non-observance. 

Mais pourquoi tant de recours à la force ? 

Ce n'était pas systématique, c'est du dernier recours ! Le but de l'UMPA est de soigner avec empathie, et d'inciter aux soins. En prison on n'a pas le droit de contentionner, et on n'a pas de chambre d'isolement. La seule possibilité, parfois, est de faire intervenir les agents. Mais immédiatement après, une infirmière vient expliquer au détenu la procédure.

Depuis, il faut noter qu'un projet médical de soins a été mis en place le 26 avril 2017, pour améliorer la présence médicale et sécuriser l'administration des traitements. Plus globalement, le renforcement de l'attractivité de l'exercice en prison et de la formation des soignants me semble indispensable. 

*En vertu d'une circulaire du 21 février 2012 qui prévoit une procédure d'orientation spécifique à la maison centrale de Château-Thierry.  

propos recueillis par Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9599