Pr Frédéric Adnet, chef du SAMU 93 : face au coronavirus, « on tient mais on est proche de la saturation »

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Publié le 03/03/2020
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Crédit photo : DR

Depuis une quinzaine de jours, les hôpitaux français vivent sous la menace croissante du coronavirus. En première ligne, les SAMU font déjà face à une augmentation significative des appels. Le Pr Frédéric Adnet, patron du SAMU de Seine-Saint-Denis, explique au « Quotidien » l'impact de cette épidémie sur l'organisation de son service. Il réclame une « enveloppe exceptionnelle » pour financer les mesures nécessaires.

LE QUOTIDIEN : Quelles sont les retombées de l’épidémie de coronavirus sur le fonctionnement du SAMU 93 ?

Pr FRÉDÉRIC ADNET : Je peux répondre non seulement pour mon SAMU mais aussi pour tous ceux d’Île-de-France avec lesquels on est en étroite relation. Le SAMU a pris de plein fouet, à l’inverse des urgences, la vague d’appels liée à cette épidémie et il a joué pleinement son rôle.

Nous réalisons un pré-triage téléphonique selon la logique nationale qui consiste à éviter que les patients ne se rendent à l'hôpital si cela n'est pas nécessaire. Ce filtrage est réellement efficient puisque, jusqu’à présent, les services d’urgences ne sont pas engorgés.

En conséquence, depuis quinze jours, l’ensemble des SAMU subit une pression et une activité absolument démoniaque. À Paris, le SAMU a doublé son nombre d’appels, il est passé de 2 000 à 4 000 par jour. En Seine-Saint-Denis, nous sommes autour de 3 000 appels par jour pour une normale d’environ 1 700. Le numéro vert d’appel pour des problèmes non liés à la santé mais en rapport avec le Covid-19 est une vraie soupape de sécurité. Les patients qui veulent des renseignements doivent l’appeler.

Comment est réalisé le triage des patients inquiets qui appellent pour des symptômes liés au coronavirus ?

Nous recevons trois types d’appels.

Premièrement, ceux provenant de patients présentant vraiment des signes cliniques qui font penser à une infection au coronavirus. Pour ceux-là, il faut procéder à un test. Nous suivons alors un questionnaire formalisé et actualisé tous les jours permettant de classer ces patients en « cas possible » ou d’éliminer le diagnostic. Dès lors qu’il est classé en « cas possible », si le patient ne présente pas de symptômes graves, on lui demande de se munir d’un masque et de se rendre par ses propres moyens vers un centre de prélèvement. L’un d’entre eux a ouvert aujourd’hui à l’hôpital Avicenne. À Paris, ils sont dans les établissements de santé de référence : Bichat, La Pitié-Salpêtrière et Necker.

Si un patient présente des signes cliniques graves, on déclenche l’envoi d’une ambulance mais c’est le cas d’une minorité de malades, c’est encore anecdotique. On ne peut pas le faire systématiquement car il faut ensuite désinfecter l’ambulance et on manquerait rapidement de véhicules. Pour donner un ordre de grandeur, en Seine-Saint-Denis nous avons entre 200 et 400 appels par jour liés au coronavirus, on en classe entre 10 et 20 en « cas possible ».

Le deuxième type d’appels provient de patients anxieux et présentant des symptômes mais qui n’ont rien à voir avec le coronavirus. Il faut alors les rassurer et donner des conseils ou envoyer des secours si leur pathologie le nécessite.

Le troisième type d’appel concerne des patients inquiets mais qui ne présentent aucun symptôme. Ces derniers, nous les redirigeons vers le numéro vert.

Les SAMU sont-ils suffisamment armés pour faire face à l’épidémie qui arrive ?

Nous avons déjà augmenté nos effectifs médicaux et d’assistants de régulation médicale (ARM) mais le flux d’appels ne cesse d’augmenter. L’action des SAMU a permis de ne pas engorger les hôpitaux. S’ils n’étaient pas là, tous les patients viendraient directement aux urgences. Pour l’instant, on tient mais on est proche de la saturation. Nous demandons aux pouvoirs publics de tout faire pour renforcer cette première barrière qui permet de sauvegarder l’organisation des hôpitaux.

Le gouvernement doit nous donner les moyens de gérer cette crise. Au niveau national, il faut débloquer une enveloppe exceptionnelle pour financer ces mesures. Je ne veux pas avoir à réclamer, à négocier ou à marchander des heures supplémentaires, des personnels ou du matériel. J’aimerais que les demandes de moyens supplémentaires bénéficient d’une chaîne décisionnaire extrêmement rapide et qu’on n’ait pas à faire quarante réunions avant d’avoir trois euros ! Il n’y aurait rien de pire que d’être en manque de lits ou de personnels pour gérer ce flux de patients.

On n’est pas encore dans une phase ou il faut hospitaliser beaucoup de patients, mais si nous passons en phase 3, cela risque de se produire.


Source : lequotidiendumedecin.fr