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Exercice

Ils ont choisi le salariat

Publié le 06/10/2017
Ils ont choisi  le salariat

Centre de santé
GARO/PHANIE

Autrefois limités aux dispensaires, souvent dans des municipalités communistes, de nouveaux centres de santé essaiment désormais un peu partout en France. Mais qui sont ces médecins - en congrès à Paris cette fin de semaine - qui délaissent l’exercice libéral pour y exercer ? Loin de l’image du praticien engagé, les nouveaux généralistes salariés sont jeunes et parfois peu concernés par des préoccupations d’ordre militant.

Ils sont de plus en plus nombreux à choisir le salariat pour exercer la médecine généraliste. Parfois même sans jamais avoir connu l’exercice libéral. Le salariat semble séduire les jeunes médecins à mesure que naissent, partout en France, des centres de santé municipaux. Pas moins de 500 centres polyvalents aujourd’hui dans l’Hexagone. D’abord concentrés autour des villes, ils deviennent une solution pour les collectivités locales face à la désertification médicale. Dernière innovation en date, le centre de santé départemental multisite de Saône-et-Loire qui va embaucher trente praticiens dans tout le département. Mais qu’est-ce qui motive les généralistes fraichement diplômés à prendre la voie du salariat ? Le confort du statut ? La vocation sociale des établissements ad hoc ? Le travail en équipe ? Un peu tout cela. Seul bémol, la survie de ces centres est toujours soumise à des décisions politiques sur lesquelles les médecins n’ont que peu d’influence. Comme à Colombes, où le centre de santé est menacé sur décision de la mairie.

Réticence administrative

Si le statut de salarié n’est pas en soi une motivation pour les généralistes, il semble pour le moins correspondre à l’évolution de la mentalité des jeunes médecins. « Ce n’est pas tellement le statut en lui-même qui m’intéresse, mais surtout le fait de ne pas faire de gestion d’entreprise médicale », précise Yannick Ruelle, généraliste au CMS Sainte-Marguerite de Pantin (Seine-Saint-Denis). Et d’insister : « Mon temps de travail après les études est plus utile à la société en exerçant une activité médicale plutôt que de la gestion ». Finies les lourdeurs administratives pour ce praticien de 37 ans. Même préoccupation pour Julie Etcheberry, généraliste de 34 ans. C’est directement après l’internat qu’elle a intégré le CMS Gatineau-Saillant de Gennevilliers sans passer par la case exercice libéral. Une décision motivée, à n’en pas douter, par l’expérience heureuse qu’elle avait eu dans cette même structure, mais aussi pour s’épargner « le côté paperasse dans lequel (elle) ne (se) retrouve pas  ».

N’en déplaise aux libéraux opposés au tiers payant généralisé, en finir avec la gestion du paiement à l’acte est une vraie motivation pour les jeunes médecins salariés. En plus d’alléger la partie gestionnaire de la pratique, elle modifie le rapport au patient. « Le paiement à l’acte donne à la consultation une autre dimension que le simple rapport médecin-patient », affirme le Dr Etcheberry. Sentiment partagé par Julie Chastang, 33 ans, salariée du CMS Pierre-Rouquès de Vitry-sur-Seine, qui va même jusqu’à affirmer que « se détacher du paiement à l’acte rend (son) travail meilleur ». « Travailler en centre de santé enlève la pression du nombre de patients à voir dans une journée », ajoute la généraliste de Gennevilliers. « C’est la liberté de pouvoir prendre son temps, si on en sent le besoin et sans se poser de questions ».

Les jeunes médecins veulent s’affranchir de la paperasse et de la comptabilité pour mieux répartir leur temps de travail au bénéfice des patients. Travailler mieux donc, mais travailler moins, puisque qui dit salarié dit aussi 35 heures. Une pratique bien éloignée de celle du médecin libéral installé en cabinet, coutumier des semaines de 70 heures mais dont le Dr Chastang s’accommode bien puisqu’elle est également maître de conférence dans un département de médecine générale et mère de trois enfants. « Avec deux métiers et une vie personnelle remplie, c’est idéal d’avoir un emploi du temps », se félicite-t-elle.



L’union fait la force

Au-delà du statut, c’est aussi le travail en équipe qui rend les centres de santé aussi attractifs. « Ma première motivation, c’est la possibilité d’avoir des consultations conjointes avec une infirmière et pouvoir faire des réunions de conseil avec d’autres généralistes, spécialistes ou paramédicaux », détaille le Dr Ruelle. Exit le médecin isolé dans son cabinet, aujourd’hui les jeunes généralistes aiment à travailler en coordination avec leurs confrères et les autres professionnels de santé. « En libéral, on est très isolé et il est plus difficile d’obtenir l’avis d’un collègue », regrette Julie Etcheberry. Mais pourquoi faire le choix du salariat quand une coordination similaire est possible en maison de santé pluridisciplinaire ? « Il y a toujours le côté administratif qui demande beaucoup d’énergie », argumente-t-elle. On y revient.

Quid de la mission sociale associée aux centres de santé dont l’objectif affiché est d’assurer un accès à des soins de qualité pour tous ? Sans être la motivation première des médecins qui optent pour le salariat, tous y voient un aspect important de leur pratique. « C’est quelque chose dont j’ai pris conscience au fur et à mesure de mon exercice, avoue le Dr Etcheberry. Gennevilliers est un territoire très fragile et on se rend compte de l’impact que peut avoir la question financière dans l’accès au soin. » Pour Yannick Ruelle, c’est un thème primordial qui va de pair avec le statut de fonctionnaire public : « Le rôle social et le travail auprès de populations précaires me motivent au même titre que l’engagement de service public ».

Si le modèle attire, il n’en reste pas moins précaire et dépendant de la volonté politique des municipalités. Une situation qui rebute Anaëlle Lindivat, actuellement stagiaire au CMS de Vitry-sur-Seine : « L’exercice salarié pourrait me convenir, mais ce qui me gêne c’est d’être sous la direction de gens qui ne sont pas médecins ». Elle déplore les contraintes imposées par une municipalité qui peut bloquer certaines décisions. « Toutes les actions de prévention qui ne sont pas rémunérées à l’acte peuvent être empêchées », regrette-t-elle. « J’entends bien qu’il y a un tas de points positifs avec le salariat, mais il y a pour moi une perte de liberté qui me dérange. »

Finalement, c’est peut-être principalement d’un manque de visibilité dont souffrent les centres de santé. Combien d’internes ont eu, comme Anaëlle Lindivat, l’occasion de découvrir l’exercice salarié lors de leurs stages ? Yannick Ruelle, également maître de conférence à la faculté de Bobigny, remarque « un fossé entre la manière dont on forme les généralistes et ce qu’on leur offre comme opportunité de carrière ensuite ». Il ajoute : « Je pense qu’un interne sur deux veut travailler comme salarié dans une équipe alors que l’offre en sortie d’études est à 98% dans l’exercice libéral ». Même son de cloche chez le Dr Chastang : « C’est un modèle où il n’y a pas beaucoup de place mais que je suis prête à défendre corps et âme ». Elle est convaincue d’une chose, « L’avenir réside dans les centres et maisons de sante, il n’appartient plus au médecin tout seul dans son cabinet ». On ne pourrait être plus clair.

Dossier réalisé par Martin Dumas-Primbault