« Malgré le mépris et les menaces, nous ne fléchissons pas ! » : les jeunes dans la rue aux côtés de leurs aînés dire « non à la coercition »

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Publié le 17/11/2022

Crédit photo : S.Toubon

Rebelote : quelque 2 000 blouses blanches ont défilé ce jeudi après-midi entre le Panthéon et le ministère de la Santé pour dire « stop au mépris » et « non à la coercition ». Elles étaient aussi 300 à Nantes, selon la police, ou 700 à Lyon, selon la préfecture.

Une seconde journée d'action d’ampleur, lancée par l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), l’Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG) et l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), pour s'opposer à la 4e année d’internat en médecine générale, à effectuer prioritairement en zone sous dense, prévue dans le budget de la Sécurité sociale (PLFSS). Et cette fois-ci, les jeunes étaient accompagnés d'autres bannières syndicales – MG France, la FMF – ou encore de quelques hospitaliers dont la CGT Santé.

Mépris

« Ça fait deux mois que nous sommes ignorés ! Aux yeux du gouvernement, nous ne sommes pas des étudiants mais juste de la monnaie d’échange », scande Barbara Begault, porte-parole de l’Isnar-IMG. « Et quand on fait valoir notre droit de grève, on nous insulte de terroristes… Mais malgré le mépris et les menaces nous ne fléchissons pas », avertit-elle.

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« Le 49.3 (utilisé pour le PLFSS) nous a fait beaucoup de mal, nous n’avons même pas eu le droit au dialogue », abonde Michel Gabriel Cazenave, vice-président en charge des partenariats à l’Isni. « Ce ne sont pas les médecins et les internes les fautifs, mais bien le gouvernement qui a abandonné la santé depuis longtemps », pense-t-il.

« Goutte d’eau »  

Dans le cortège, externes et internes expriment un sentiment de « ras-le-bol ». Pour Marine, interne en médecine générale venue de Lille, cette réforme est « la goutte d’eau », imposée aux carabins « en dépit de la formation, uniquement par manque de médecins ».

Externe à Paris, Anaé dénonce elle aussi la méthode de l’exécutif. « J’ai l’impression que les études de médecine sont gérées par des bureaucrates, qui ne comprennent rien à la réalité du terrain et s’enfoncent dans les mauvaises décisions ». L’article 23 du PLFSS est vécu par les étudiants comme « un stress, une pression supplémentaire ». « Notre vocation ne suffira plus à tenir le coup », prévient Anaé.

Main dans la main avec les seniors

Le matin même de cette journée de mobilisation, les jeunes étaient déjà aux côtés des syndicats seniors, pour faire part de leur colère commune, lors d'une conférence de presse unitaire. « Nous partageons une crainte pour l’avenir de notre système de santé et pour la profession de médecin », a lancé Yaël Thomas, président de l’Anemf, devant les représentants de l’Isnar-IMG, avec MG France, la CSMF, le SML, Reagjir et le SML.

Avec l’ajout de cette 10e année d’études, les juniors craignent une « perte d’attractivité majeure » pour la médecine générale, alors que la spécialité subit une crise démographique. Déjà, un étudiant en médecine sur deux qui envisageait avec certitude de devenir médecin de famille remet aujourd'hui son choix en question, suite aux annonces de l’exécutif. Et un tiers des carabins a déjà pensé, au cours de ces dernières semaines, à abandonner médecine. Des chiffres inquiétants issus d’un sondage en ligne réalisé par l’Anemf sur 6 600 étudiants de premier et deuxième cycles.

Renoncer au choix d'être généraliste

La moitié des carabins, pour lesquels la médecine générale n’était pas le premier choix, abandonneraient même cette voie. « On ne s’attendait pas à des résultats aussi alarmants », commente Yaël Thomas (Anemf). Selon l’enquête, l’article 23 du PLFSS inciterait un étudiant sur deux à exercer hors de France. Ainsi, 54 % de ceux qui envisageaient de devenir généralistes réfléchissent « de plus en plus » à exercer à l’étranger ; 5,3 % sont même sûrs de quitter la France, « contre 1,8 % avant les annonces ».

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Ces chiffres ont trouvé un écho puissant dans le cortège. Alors qu’elle envisageait une carrière de généraliste, Guilliane, étudiante parisienne « remet en question ce choix ». Alors que les études médicales « sont déjà longues et fatigantes », aujourd'hui « je me dis que j’aurais dû peut-être réfléchir un peu plus avant de faire médecine », avoue l’étudiante. « Depuis plusieurs semaines, je me dis que je m’orienterais finalement peut-être plus vers la médecine d’urgence ou la santé publique que la médecine générale », confesse également Pierre Tatincloux, vice-président enseignement supérieur à l'Anemf.

Seuls et sans encadrement

Ce manque d’attractivité est « dramatique », avance aussi la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. « Cette réforme est un affichage politique », fustige la généraliste parisienne. « Envoyer des jeunes tout seuls dans des déserts, c’est inacceptable et dangereux ! », surenchérit le Dr Franck Delvulder, président de la CSMF.

Si le texte est encore en cours d’examen au Parlement, la version adoptée au Sénat et à l’Assemblée prévoyait que les internes soient encadrés par un praticien « du bassin de vie ». Donc situé parfois à plusieurs dizaines de km de son stagiaire… « Nous avons eu des échanges avec le ministère qui envisage tout à fait qu’un interne soit supervisé par téléphone et installé dans des locaux pas forcément adaptés, raconte Raphaël Presneau président de l’Isnar-IMG. Le tout en faisant des consultations toute la journée, payé 2 000 euros net par mois ». Une logique « très dangereuse » pour l’interne.

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Réforme construite sur l'anxiété

Avec un interne qui n’exerce pas dans le même cabinet que son maître de stage, Corinne Le Sauder craint elle aussi « un réel problème pour la qualité des soins ». « L’interne va reprendre les dossiers les plus difficiles tout seul, c’est déplorable », souffle la présidente de la FMF.

Les jeunes anticipent déjà un impact sur leur santé mentale. Toujours selon le sondage de l’Anemf, « depuis la mise en place d’une quatrième année, 81 % des étudiants ont l’impression de ressentir davantage d’anxiété ». « Ce n’est pas acceptable de construire une 4e année sur l’anxiété, le burn-out, le risque suicidaire », s’émeut la Dr Élise Fraih, présidente de Reagjir.

Désormais, juniors et seniors veulent rester soudés. Les représentants des internes et d’étudiants ont été reçus par le cabinet de François Braun dans l’après-midi.


Source : lequotidiendumedecin.fr