Article réservé aux abonnés
Dossier

Entretien avec le Haut-commissaire aux retraites

Jean-Paul Delevoye : « Les médecins auront des simulations d’ici la fin de l’année »

Par Stéphane Lancelot et Christophe Gattuso - Publié le 27/09/2019
Jean-Paul Delevoye : « Les médecins auront des simulations d’ici la fin de l’année »

Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire aux retraites
Photos : BURGER/PHANIE

Dans un entretien exclusif au Généraliste, Jean-Paul Delevoye s’emploie à rassurer les médecins libéraux sur les conséquences de la réforme des retraites. S’engageant à jouer la transparence, il va entamer une nouvelle phase de concertation avec la profession. Le Haut-commissaire aux retraites proposera d’ici fin 2019 une simulation spécifique aux médecins sur l’avenir de leurs pensions qui pourraient baisser, reconnaît-il à demi-mot. S’il se montre rassurant sur l’ASV qui serait préservée, le nouveau membre du gouvernement laisse entrevoir de plus étroites marges de négociation sur le périmètre de la réforme. Jean-Paul Delevoye se dit « attaché à un haut niveau de couverture » garanti par un régime universel qui concernera tous les Français ayant un revenu annuel inférieur à 120 000 euros. Il affirme que les réserves seront très « clairement périmétrées » dans un fonds unique et invite la profession à ne pas céder aux « intérêts corporatistes ».

Les médecins libéraux, qui ont manifesté le 16 septembre à Paris, redoutent de perdre leur régime de retraite autonome qui fonctionnait bien. Comprenez-vous leur inquiétude ?

Jean-Paul Delevoye Plus qu’une réforme, nous proposons un projet de société. Plus personne ne peut prédire le futur. Nos enfants et petits-enfants vont avoir des parcours de plus en plus divers. De plus en plus de personnes, pour des raisons de quête de sens, changent de métier. Cela nécessite d’avoir un système de retraite qui épouse cette fluidité, cette mobilité. Une question se pose très clairement : quelle est la meilleure protection que nous pouvons fournir pour les moments de fragilité que chacun d’entre nous connaîtra (vieillesse, maladie, handicap, maternité, chômage) ?

Il existe 42 régimes de retraite reposant sur des solidarités professionnelles. Or, aujourd’hui, personne ne peut assurer que l’avenir de sa retraite est garanti par l’avenir de sa profession. À la solidarité professionnelle, nous faisons le choix d’une solidarité de la nation. Très légitimement, certains s’interrogent : « est-ce que je perds, est-ce que je gagne ? » Dans le monde des indépendants, les situations sont différentes et les réponses diverses, et les médecins expriment des points d’inquiétude très ciblés.

Les médecins libéraux craignent justement une baisse de cotisation (- 20 %) et une plus forte baisse (- 30 %) de leur pension (2 660 euros par mois en moyenne aujourd'hui)...

J.-P.D. Le diagnostic n’est pas bon. Tout le monde fait des simulations sans avoir tous les critères. Et pour cause, nous ne les avons pas arrêtés. Les avocats font une plaidoirie avant que le procès ne soit ouvert. Mais une fois qu’on sera d’accord sur les principes d’un régime universel, on pourra débattre. La société française a soif d’équité.

Le diagnostic n’est pas bon. Tout le monde fait des simulations sans avoir tous les critères. Et pour cause, nous ne les avons pas arrêtés.


Les médecins se plaignent de n’avoir reçu aucune simulation sur l’avenir de leur retraite. Allez-vous leur fournir ?

J.-P. D. Comme tous les citoyens, les médecins ne peuvent pas adhérer à ce projet s’ils n’en comprennent pas bien les conséquences. Nous entrons dans une phase où l’approche sera plus fine, plus précise, avec des simulations et des exemples de cas types par profession.

Quand les médecins auront-ils ces simulations ?

J.-P. D. Les médecins auront des exemples (cas types) d’ici la fin de l’année, ce qui leur laissera le temps de se faire une idée avant le vote de la loi. Je suis pour la transparence, le dialogue, la recherche de compromis. J’aurai des négociations profession par profession. Nous rencontrerons avec Agnès Buzyn l’ensemble des professions de santé. Nous prévoyons plusieurs centaines de réunions d’ici la fin de l’année.

Les médecins ont-ils peur trop tôt ?

J.-P. D. Le débat que nous avons eu avec les syndicats a fait émerger des inquiétudes, et je me sens l’obligation, avec mes équipes, d’y répondre. Nous avons pris l’engagement que chaque profession sache quel sera le point d’arrivée de la réforme. Pour les médecins, les cotisations devraient effectivement baisser en moyenne. Cela se traduira par une baisse des droits dans le régime universel. Mais cette baisse pourra être compensée par une retraite supplémentaire s’ils le souhaitent.

Pour les médecins, les cotisations, devraient baisser en moyenne. Cela se traduira par une baisse des droits dans le régime universel.

N’est-il pas paradoxal d’encourager la jeune génération à prendre une retraite supplémentaire, et donc la capitalisation, alors que le régime universel vise à préserver la solidarité ?

J.-P. D. Le régime universel que nous proposons sera le système par répartition le plus élevé d’Europe, le plus solidaire. Aujourd’hui, il existe déjà des systèmes de capitalisation (assurances vie, Préfon, RAFP…). Le système universel est garanti par la solidarité de la nation et il appartient à chacun, quel que soit son revenu, de choisir, s’il le souhaite, un complément, d’épargne ou immobilier.

Les médecins s’opposent à ce que cette réforme s’applique à tous ceux ayant des revenus inférieurs à trois plafonds de la Sécurité sociale (PASS, 120 000 euros environ) et souhaiteraient un régime universel limité à un plafond pour garder un système spécifique. Ce point est-il négociable ?

J.-P. D. Je suis attaché à un haut niveau de couverture, qui garantit la solidarité. Concrètement, le régime universel couvrirait de manière solidaire tous ceux qui gagnent moins de 10 000 euros par mois, soit 99 % de la population. Faut-il renoncer à la solidarité pour les 1% qui peuvent par ailleurs prendre un complément individuel ? Soyons attentifs à ce qu’en regardant un intérêt corporatiste, nous ne remettions pas en cause notre objectif collectif.

Les médecins devront-ils, comme l’avance le patron de la Carmf, le Dr Lardenois, travailler jusqu’à 70 ans pour toucher leur retraite à taux plein ?

J-P. D. La crainte de Monsieur Lardenois n’est pas fondée. Dans le système actuel, l’âge minimal de départ à la retraite est fixé à 62 ans. Nous avons souhaité le préserver pour interdire à quelqu’un de partir avant avec le minimum vieillesse. Nous avons préconisé un âge d’équilibre (pivot) à 64 ans, où le niveau des pensions est égal au niveau des cotisations. Et il y a l’âge à taux plein à 67 ans. L’âge d’entrée des Français dans le monde du travail est d’à peu près 22 ans. Pour les médecins, c’est plus tard. Si on prend l’exemple d’un praticien qui commence à exercer à 28 ans et travaille pendant 42 ans, cela fait un départ à la retraite à 70 ans. Dans le système actuel, l’annulation de la décote de base se fait à 67 ans et donc ce praticien pourra toucher sa retraite de base à taux plein à 67 ans et non à 70 ans. Dans le système universel, si l’âge taux plein collectif est à 64 ans, ce praticien pourrait partir à 64 ans au lieu de 67 ans. S’il veut bonifier sa retraite, il pourra continuer à travailler s’il le souhaite. Nous réfléchissons par ailleurs à donner des droits supplémentaires au cumul emploi-retraite.

Votre rapport suggère que le temps passé en stage pourrait être considéré comme du temps travaillé donnant lieu à des points. Cela sera-t-il le cas pour les médecins ?

J.-P.  D. Cela fait partie des sujets à discuter. Le système de la retraite à points est très simple. Toute rémunération permet l’acquisition de points. La formation est un temps qui pourrait permettre d’acquérir des droits à la retraite et de bonifier sa pension, c’est l’un des gros avantages de ce système.

Les médecins sont très inquiets de la possible disparition de l’ASV. Son maintien est-il acquis ou sera-t-elle noyée dans le régime universel ? 

J.-P. D. L’ASV représente 35 % de la pension de retraite des médecins. Pour nous, c’est clair, il n’est pas question de remettre en cause cette convention passée entre l’Assurance maladie et les praticiens du secteur I, qui garantit une prise en charge par la Cnam d’une partie des cotisations en l’échange du maintien du respect des honoraires opposables. La ministre de la Santé a déjà affirmé à plusieurs reprises que l’ASV serait maintenue. Si demain, dans une négociation, des éléments changent, nous intégrerons ces changements sans peser sur cette contractualisation.

À partir du moment où le régime universel garantit les passifs, c’est-à-dire le paiement des retraités, il n’est pas choquant d’imaginer qu’il emporte aussi les actifs.

La solidarité prônée par votre réforme implique-t-elle que les médecins soient dépossédés de tout ou partie de leurs réserves ?

J.-P. D. Les réserves, dans leur globalité, pèsent 140 à 150 milliards d’euros. Leur but est de garantir les droits du passé, d’encaisser le choc démographique ou de faire face à des aléas. À partir du moment où le régime universel garantit les passifs, c’est-à-dire le paiement des retraités, il n’est pas choquant d’imaginer qu’il emporte aussi les actifs. On nous demande si ces réserves seront utilisées à d’autres fins, notamment pour financer les déficits publics. Pour répondre à cette inquiétude, nous avons décidé de constituer un fonds dans lequel les réserves seraient très clairement périmétrées et dont la gouvernance serait confiée à des professionnels parmi ceux qui les ont constituées. Il y aura un débat pour dire quel doit être le bon niveau de réserve, régime par régime. Au-delà du niveau requis, l’excédent pourra être restitué aux professionnels qui continueront par ailleurs à disposer de leur système de solidarité (régimes de prévoyance invalidité-décès, action sociale). Soyons clairs, les réserves ne serviront pas à couvrir je ne sais quel déficit. Elles resteront dédiées aux professions qui les ont constituées.

Les médecins s’inquiètent de la disparition de leur caisse autonome.

J.-P. D. La réforme nécessitera du temps. Et même lorsque la loi sera votée, il faudra assurer une transition en douceur de 5, 10, 15 ou 20 ans. Nous devrons accompagner la réforme, la corriger, pour qu’elle soit pérenne. La future gouvernance, qui associera les professionnels, aura tous les outils d’adaptabilité.

L’annonce du recouvrement des cotisations par l’URSSAF, cet été, a agacé le corps médical. N’avez-vous pas voulu aller trop vite en besogne ? Pouvez-vous nous confirmer que le gouvernement est revenu sur cette décision ?

J.-P. D. Cette évolution est cohérente avec le système universel, avec lequel on peut évidemment imaginer une rationalisation des moyens immobiliers, informatiques ou de recouvrement. Mais de telles évolutions prennent du temps et le gouvernement a très clairement indiqué qu’il n’y aurait pas de mesure relative au recouvrement des cotisations des professions libérales en 2020.

Quand le projet de loi sera-t-il voté ?

J.-P. D. La loi sera votée à l’été 2020. D’ici fin 2019, j’aurais vu toutes les organisations syndicales et nous aurons arrêté un certain nombre de choses. J’ai besoin de confronter ce projet à la controverse et aux critiques, ça me stimule. Lorsque les arguments sont faux, cela me permet de les dénoncer. Lorsqu’ils sont exacts, cela m’interpelle et me permet éventuellement de corriger le projet. C’est pour cela que nous avons pris du temps. C’est un projet qui bouleverse tellement l’ancien système qu’il faut prendre le temps de l’écoute.

Propos recueillis par Stéphane Lancelot et Christophe Gattuso

Sommaire