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Dossier

Recos

La HAS médicalise le burn-out

Publié le 26/05/2017
La HAS médicalise le burn-out


VOISIN/PHANIE

Sujet sociétal et politique souvent matière à débat, le burn out est aussi une réalité médicale à laquelle les généralistes sont de plus en confrontés. Afin de permettre une prise en charge adaptée, la HAS publie des recos qui précisent les contours cliniques de ce syndrome et prônent un traitement individualisé dans lequel l’arrêt de travail occupe une place centrale.

Les troubles psychiatriques liés au travail représentent la catégorie d’affections professionnelles la plus fréquente après les affections de l’appareil locomoteur. Parmi eux, le burn out (ou syndrome d’épuisement professionnel) n’est pas reconnu comme une maladie dans les classifications internationales et n’est mentionné dans aucun tableau de maladie professionnelle (lire ci-contre). Pour autant, sur le plan clinique, le burn out correspond à un syndrome bien spécifique, souligne la HAS qui publie aujourd’hui de premières recommandations sur le sujet, sous forme de fiche mémo à l’attention des généralistes et des médecins du travail.

Prévue par le 3e Plan Santé au travail 2016-2020, la nouvelle feuille de route ne traite que du versant clinique de la prise en charge du burn out. « L’action sur l’organisation du travail, essentielle pour une démarche de prévention, est exclue du champ de ces recommandations », précise d’emblée la HAS, qui insiste sur la nécessité d’une collaboration du généraliste avec le médecin du travail et l’importance d’un traitement individualisé qui ne fasse pas appel systématiquement aux antidépresseurs et dans lequel l’arrêt de travail occupe une place centrale.

Avec cette initiative, le burn out sort ainsi du champ sociétal ou politique pour s’ancrer dans la pratique médicale. Objectif : définir ce que recouvre vraiment le terme de burn out – « aujourd'hui utilisé pour décrire toutes sortes de stress, de grande lassitude ou de fatigue par rapport à son travail » – et améliorer son repérage et sa prise en charge, ainsi que l’accompagnement des patients lors de leur retour au travail.

Une définition qui se précise

Dans la lignée du Guide d’aide à la prévention réalisé en 2015 sous l’égide du ministère du Travail (INRS, Anact et DGT), la HAS considère que le syndrome d’épuisement professionnel correspond à « un épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel ».

Souvent d’installation insidieuse, ce qui explique un diagnostic volontiers tardif, les symptômes peuvent être émotionnels (anxiété, tristesse, indifférence…), cognitifs, comportementaux (repli, agressivité, comportements addictifs…), physiques. Ils s’accompagnent d’une dégradation de la motivation à l’égard du travail, qui s’exprime dans trois dimensions : l’épuisement émotionnel, le cynisme vis-à-vis du travail (déshumanisation, indifférence) et la perte d’efficacité.

Dépression ou burn out ?

La démarche diagnostique doit s’attacher à caractériser les pathologies associées au syndrome d’épuisement professionnel (troubles anxieux, troubles dépressifs, stress post-traumatique…). « Le risque suicidaire doit être particulièrement évalué », note la HAS. Devant ces symptômes non spécifiques, seul le lien avec le travail permet d’affirmer le diagnostic. Beaucoup de symptômes du burn out sont communs, en particulier à la dépression. « Mais la dépression touche toutes les dimensions de la vie, alors que le burn out ne concerne que la sphère du travail, et il peut tout à fait y avoir burn out sans dépression, observe KarinePetitprez, chef de projet (HAS). La dépression « est une comorbidité du burn out », ajoute le Dr Michel Laurence (chef du service des recommandations des bonnes pratiques professionnelles à la HAS).

L’arrêt de travail,quasi incontournable

Le médecin traitant coordonne la prise en charge en pouvant faire appel à un psychiatre à toute étape. Un arrêt de travail est « le plus souvent » nécessaire. « Cela se fait en dialogue avec le patient, analyse Karine Petitprez. Mais si la situation de travail est vraiment toxique, il faut en extraire le patient pour prendre du recul et voir avec le médecin du travail dans quelle mesure on peut changer les conditions de travail. » La fiche ne précise pas la durée de cet arrêt. Cependant, le guide INRS/Anact/DGT précise que « selon la gravité des symptômes, un arrêt maladie de 2 à 3 mois peut être nécessaire ». De son côté, l’Assurance Maladie ne propose pas non plus de référentiel de durée
mais une étude est en cours afin de mieux cerner la réalité des arrêts de travail motivés par une souffrance psychique liée au travail. Mené par la branche « risque professionnel », ce travail devrait permettre de chiffrer l’ampleur du problème, de préciser le profil et les comorbidités des personnes concernées et d’identifier les secteurs professionnels les plus exposés.

À côté de l’arrêt de travail, la HAS évoque d’autres traitements comme les approches psychothérapeutiques ou psychocorporelles « effectuées par un professionnel de santé ou un psychologue formé à ces techniques ». Quant aux antidépresseurs la HAS ne les recommande que dans les strictes limites de leurs indications (troubles anxieux, dépression). Or « trop souvent, la tendance est de prescrire ce type de médicaments », constate Karine Petitprez.

La collaboration avec le médecin du travail encouragée

Dès le diagnostic évoqué, le généraliste doit se mettre en relation avec le médecin du travail, si le patient l’accepte. « Cette collaboration est indispensable car, à part l’arrêt de travail, le médecin traitant n’a pas d’action sur le travail », souligne Karine Petitprez. Elle est importante aussi pour alerter sur une situation de travail délétère dans l’entreprise. « Quand une personne est en burn out, il y a une raison organisationnelle ou manageriale, explique le Dr Laurence.  ».
Enfin, le dialogue avec le médecin du travail est important pour préparer la reprise du travail, et le médecin traitant comme le patient peuvent à tout moment demander une visite de préreprise avec le médecin du travail. « Il est fondamental que le généraliste et le médecin du travail communiquent pour que le salarié puisse retrouver des conditions de travail satisfaisantes et pour le maintien dans l’emploi », poursuit le Dr Laurence.


Un chapitre consacré aux soignants

Signe des temps, un encadré est consacré aux soignants, particulièrement exposés au risque d’épuisement professionnel, qu’ils soient en activité ou en formation. Le burn out a d’ailleurs été décrit initialement chez les professionnels de santé. « Toutes les professions de soins sont concernées, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle, et les libéraux comme les salariés, précise Karine Petitprez. Ces personnes doivent avoir une prise en charge à part entière, avec des réseaux spécifiques pour que le médecin ne se retrouve dans une salle d’attente avec ses patients. Il en existe déjà dans certains départements. » Concernant plus particulièrement le burn out des médecins, « le diagnostic est toujours très tardif chez les médecins libéraux car ils prennent sur eux et s’automédiquent », analyse le Pr Éric Galam, généraliste, professeur à l’université Paris 7 et coordinateur de l’Association d’aide aux professionnels de santé et médecins libéraux (AAML). De plus « le soignant a tendance à considérer son épuisement comme une défaillance. Il ne faut pas retenir du burn out seulement l’épuisement physique et émotionnel, mais aussi la dépersonnalisation, qui conduit à ne plus considérer le patient comme un être humain mais comme un objet, voire un problème, et la perte de l’accomplissement personnel ».


Dr Isabelle Leroy