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Dossier

Stratégie nationale de santé

La réforme Touraine va-t-elle changer le visage de la médecine générale ?

Publié le 27/09/2013

Quel sera le visage de la médecine générale dans dix ans ? La ministre de la Santé, qui a présenté en début de semaine sa « Stratégie nationale de santé », promet une « révolution du premier recours ». Elle a lancé plusieurs chantiers qui pourraient, à l’issue du quinquennat, changer le visage de la profession.

Ce ne sera ni « l’étatisation de la médecine libérale », ni sa « revanche sur l’hôpital ». Quand Marisol Touraine dévoile, lundi, sa stratégie nationale de santé pour les années à venir – mission qui lui avait été confiée par le Premier ministre en début d’année – elle se veut rassurante... Avant de parler d’une « révolution du premier recours » ! Les mesures annoncées, issues du rapport Cordier, attendu depuis le mois de mai et qui lui a été remis officiellement à cette occasion, mettent l’accent sur les soins de ville et passent, pour la plupart, par la case généraliste. Entre tiers payant généralisé, montée en puissance des forfaits, multiplication de maisons de santé et parcours de soins, la réforme Touraine pourrait radicalement changer, d’ici à dix ans, le métier de généraliste. Mais jusqu’où ira-t-elle ?

Quel impact aura le tout tiers payant dans les cabinets ?

C’était une des promesses santé de François Hollande. C’est la mesure phare du plan Touraine. Une concrétisation plus qu’une surprise vu que la ministre de la Santé s’était déjà montrée « sensible » à l’idée de généraliser le tiers payant en janvier après qu’une jeune généraliste des Yvelines ait été agressée. À l’époque, la ministre avait parlé d’une mesure qui s’appliquerait de manière progressive, dans un premier temps dans les cabinets de groupe, ensuite chez les médecins volontaires alors qu’en début de semaine, elle a mis le cap sur la généralisation. La dispense d’avance de frais sera donc accordée en ville, dès 2015, aux bénéficiaires de l’Aide à la complémentaire santé (ACS) et, avant 2017, tous les assurés pourront en bénéficier. Peut-être même avant, si l’on en croit le président de la Mutualité, Etienne Caniard.

Pour les médecins libéraux, l’affaire apparaît néanmoins compliquée. Alors qu’il est déjà effectif pour les bénéficiaires de la Couverture maladie universelle (CMU) et de l’Aide médicale d’État (AME), le tiers payant reste « techniquement assez compliqué à mettre en place », comme le reconnaît la ministre, vu la multitude des complémentaires santé (environ 400) qui existent.

Dans l’idéal, il faudrait, en effet, que le médecin puisse être payé des deux côtés, par la Sécu et les mutuelles, sans délai, mais aussi sans tâches, ni frais supplémentaires, comme le réclament les syndicats. Sauf que, en pratique, rappelle Jean-Paul Hamon (FMF), dans les centres de santé qui le pratiquent déjà, le tiers payant génère une dépense de trois euros de plus par consultation…

Quid, en outre, de la contrainte administrative qui risque de peser sur les épaules des libéraux ? Seront-ils chargés de recueillir le un euro de franchise par consultation à la place des Caisses ? La CSMF prévient déjà qu’il ne faut pas compter sur les praticiens pour cela. La ministre n’a pas encore donné de réponse claire à ce sujet.

Sur le thème, vos représentants sont en tout cas divisés. Pour la FMF, c’est un non-événement. Même si le tiers payant représente à ses yeux un véritable intérêt dans les zones sensibles, pour limiter les agressions, ou dans les maisons médicales de garde, pour enrayer l’encombrement des urgences. Reste que ses détracteurs, dont Roger Rua (SML), objectent que sa généralisation pourrait avoir un effet inflationniste sur le volume des consultations. Enfin, le tiers payant pour tous risque de poser un problème de taille à ceux qui pratiquent des dépassements d’honoraires, fait remarquer Claude Leicher (MG France) qui a toujours soutenu la mesure.

Le paiement à l’acte va-t-il devenir résiduel ?

La forfaitisation semble avoir le vent en poupe. C’est le deuxième axe fort de la « Stratégie nationale de santé » lancée lundi par la ministre de la Santé. à commencer par la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) à laquelle ont adhéré la quasi-totalité des généralistes et qui semble promise à des nouveaux développements. Comportera-t-elle de nouveaux indicateurs ? Concernera-t-elle d’autres spécialités ? « Si la négociation n’avance pas, l’État prendra ses responsabilités », affirme la ministre.

Après la généralisation du forfait médecin traitant cet été, le mouvement n’est pas prêt de s’arrêter et devrait, sous la présidence Hollande, s’étendre aussi aux activités de prévention du généraliste. « En charge de la prévention, le médecin traitant, sera de plus en plus rémunéré à partir d’objectifs nationaux qui seront déclinés régionalement », confirme Marisol Touraine, sans toutefois fixer d’échéances précises. Et ce n’est pas tout. Elle promet aussi un forfait « structure » pour rémunérer cette fois le travail de coordination. L’annonce n’est pas nouvelle, mais les partenaires conventionnels ne s’en sont pas encore saisis. Il devait normalement voir le jour avant la fin de l’année... Enfin, dès l’année prochaine, les Agences régionales de santé (ARS) seront à l’origine de nouvelles expérimentations de prise en charge de pathologies chroniques, telles que l’insuffisance rénale chronique ou le cancer qui « amèneront à renforcer la part des financements forfaitaires dans le système de santé ».

Dans dix ans, « la part de forfait aura augmenté », insiste Marisol Touraine sans toutefois préciser ni le rythme de cette évolution, ni la proportion qu’elle prendra dans la rémunération du généraliste. Reste que, dans ce contexte, les médecins risquent d’attendre longtemps une nouvelle revalorisation du C. Sans l’exclure formellement, Marisol Touraine a tout de même rappelé que « des rémunérations ont déjà été dégagées en faveur du secteur 1, lors de la signature de l’avenant n° 8 (sur les dépassements d’honoraires, ndlr) ». Mais il est clair que les prochaines revalos prendront plutôt la forme de forfaits.

Attention, certains pourraient rester sur leur faim ! A priori « favorable à la diversification de la rémunération », Michel Chassang, président la CSMF, y est « opposé si on ne revalorise pas les actes ». à l’inverse, Pierre de Haas, président de la Fédération des maisons de santé (FFMPS) (et membre de la Mission Cordier) n’a pas d’état d’âme quant à l’éventuelle disparition du paiement à l’acte. « L’acte a fait les preuves de son efficacité, mais ne répond pas aux soucis de prise en charge globale de la population », analyse-t-il.

Et si le travail en équipe devenait la norme ?

En décembre 2012, dans la Vienne, Marisol Touraine prenait douze engagements pour lutter contre la désertification médicale dont le développement de la pluridisciplinarité et du travail en équipe. Un cap encore accentué lors de la présentation de sa stratégie de santé. La ministre a annoncé la création de 300 nouvelles MSP (maisons de santé pluridisciplinaires) pour la fin de l’année. Elle a également prorogé les expérimentations des nouveaux modes de rémunération (ENMR), qui lient des équipes pluridisciplinaires aux ARS par un contrat territorial. Des annonces évidemment applaudies par Pierre de Haas. C’est sans doute le début d’une longue évolution. Les généralistes du futur exerceront-ils tous en mode collectif ? Claude Leicher n’a pas de doutes : « La modernisation de l’exercice va passer par le travail en équipe ». à terme, les coups de pouce à ce mode d’exercice plébiscité par les jeunes générations pourraient progressivement changer le visage de la médecine générale au détriment, peut-être, des irréductibles de l’exercice en solo. Pour sa part, Michel Chassang dit oui au groupe à condition qu’on « respecte l’entreprise libérale ». Quant à Roger Rua, il exprime la crainte que les futurs médecins qu’on « façonne à réfléchir en groupe » aient du mal à « prendre des décisions personnelles », une fois face à leurs patients.

La médecine de parcours, révolution pour les ALD ?

C’est le point d’orgue de cette « révolution du premier recours » voulue par Marisol Touraine. « Aujourd’hui, je veux fixer une règle d’or » a annoncé la ministre, solennelle : « Lorsque le médecin prendra en charge un patient, il aura la responsabilité et les moyens de garantir un parcours de soins adapté aux différentes étapes de la prise en charge avec l’appui de coordinateurs et animateurs de parcours ». L’idée est posée, la concrétisation moins évidente. Un léger flou, que Pierre de Haas juge logique, « tant que le premier recours n’est pas structuré ». à ce jour, quelques expérimentations existent toutefois autour du parcours de soins des personnes âgées. D’après la feuille de route de la ministre de la Santé, les nouveaux parcours de santé pourraient en effet ressembler aux actuelles expérimentations PAERPA pour les personnes âgées en perte d’autonomie.

Ce n’est visiblement qu’un début, qui pourrait devenir la norme pour les ALD si l’on en croit un expert comme Didier Tabuteau. Dans son dernier livre (« Démocratie sanitaire, les nouveaux défis de la politique de santé »), il évoque une véritable réorganisation de la prise en charge : « En médecine de ville, l’hybridation des règles de tarification entre le forfait et le paiement à l’acte devrait s’accélérer. La médecine de parcours devrait imposer des forfaitisations alors que les soins épisodiques d’une personne en bonne santé devraient logiquement continuer à relever d’un paiement à l’acte ». Chez les libéraux, certains, pourtant, demandent à voir. Michel Chassang prévient qu’il ne faudrait pas que le parcours de soins soit une nouvelle « usine à gaz ».

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