Des manifestations, parfois suivies d'incidents comme à Paris dimanche dernier, ont eu lieu dans tout le pays. Mardi soir, un rassemblement de réfugiés afghans a été dispersé, non sans brutalité, par la police. Ces incidents sont liés à l'objectif d'un certain nombre d'associations humanitaires d'obliger le gouvernement à retirer l'article 24 du texte, bien qu'il ait été adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. La gauche, l'extrême gauche et les Verts posent un problème dont la gravité semble avoir été sous-estimée par l'exécutif : si nous sommes un État de droit, les journalistes français accrédités sont parfaitement libres de photographier et de filmer. S'ils ne le sont pas, nous ne sommes plus dans un État de droit. Le codicille apporté à l'article 24 n'a pas suffi à calmer les manifestants car, dans la pratique, on voit que l'interdiction demeure sans savoir à quel moment les journalistes peuvent faire leur métier : sur les lieux de la manifestation, ou après s'être expliqués dans un poste de police ?
La proposition de loi vient des élus de la République en marche. Il ne s'agit pas d'un projet du gouvernement. Ce qui ne la rend pas moins suspecte, car de toute évidence, l'Élysée et Matignon ont donné carte blanche au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, pour qu'il suive le processus d'adoption de la loi par les deux assemblées. Même s'il a dénoncé la répression de la manifestation afghane, M. Darmanin n'a pas caché qu'il était favorable au texte, qui serait un gage donné aux forces de l'ordre, inquiètes, et pour d'excellentes raisons, d'être vues sur les réseaux sociaux, et d'en subir ultérieurement les conséquences dans la vie civile.
Policiers victimes du terrorisme
Les précédents sont innombrables de policiers en civil vaquant à leurs affaires et reconnues par des gilets jaunes qui viennent alors leur chercher noise. Ou encore des policiers assassinés chez eux, comme ce couple abattu à Magnanville (Yvelines) en juin 2016, par un terroriste islamiste. En bonne logique et en dehors de toute conviction idéologique, il est donc indispensable d'apporter aux policiers et gendarmes les moyens de se protéger contre des actes de vengeance, au lieu de les exposer à d'éventuels agresseurs dans des photos et des videos. Les intéressés sont les premiers à exiger cette protection minimale. La majorité et la droite la souhaitent sincèrement, car les forces de l'ordre ne peuvent opérer que si elles ne craignent pas un retour de bâton pour elles-mêmes et pour leurs proches. Cette mesure n'était pas nécessaire quand la police était aimée par la population. Les manifestations de gilets jaunes déviées de leur objet par les casseurs ont mis fin aux bonnes relations entre les Français et leurs flics.
Mais une autre profession, celle des journalistes, ne saurait accepter une telle atteinte à la liberté d'expression qui la priverait de sa raison d'être, l'information. Il est vrai que les moyens technologiques mis à la disposition de tous et pas seulement des journalistes se sont beaucoup développés ; il est vrai que certains journalistes, mais pas tous, diffusent leurs images sur les réseaux sociaux par hostilité à l'ordre bourgeois. Mais l'article 24, lui, contient une contradiction du type « serpent qui se mord la queue » : au nom de l'État de droit, on ne peut pas réduire les libertés. La France n'est pas une république bananière et les garanties offertes par l'État pour protéger à la fois les policiers et les journalistes ne sont pas convaincantes, car elles sont contradictoires.
Le texte sera sans nul doute adopté par le Sénat car la majorité LR (les Républicains) refuse la suppression de l'article 24. La seule question est de savoir s'il était opportun de créer une nouvelle loi alors que le pays subit une crise sanitaire et sociale de plein fouet, que les mécontentements sont à leur point d'ébullition et qu'un nouvel abcès de fixation est la dernière chose à souhaiter. Là encore, le gouvernement devrait négocier avec les forces de gauche pour trouver un compromis capable de rassurer les forces de l'ordre, avant que le texte ne soit adopté en l'état.