L'embarcation rétive échappe au contrôle du nautonier : sans le virus, la France était déjà difficile à diriger et le président de la République, dont les réformes se sont constamment heurtées au refus viscéral du peuple, est payé pour le savoir. Mais, avec le virus, c'est pire. Les Français reprochent moins au chef de l'État d'avoir laissé la deuxième vague faire irruption dans une partie que l'on croyait gagnée, que d'avoir pris des dispositions qu'ils contestent avec virulence, bien qu'elles aient pour objectif de sauver des vies humaines et d'empêcher la saturation des hôpitaux.
Ce qui fait apparaître les poursuites contre ministres comme encore plus dérisoires. Toutes les forces politiques devraient être unies pour faire refluer la pandémie au moment où les partis espèrent seulement battre la majorité en passant par l'inéluctable division du pays. C'est regrettable, d'autant que, par définition, la pandémie atteint tout le monde, y compris des nations étrangères qui sont encore moins bien loties que nous. Le virus modifie en profondeur la donne électorale dans les principales démocraties : il privera Emmanuel Macron d'un atout, si le fléau n'est pas jugulé dans six mois, et c'est lui qui fera tomber Donald Trump et non l'infantilisme de sa gouvernance. En Italie, il est capable de faire ressurgir l'extrême droite et en Espagne, vaincre la gauche. Au Royaume-Uni, l'opposition travailliste fait maintenant jeu égal avec les Tories. Seule l'Allemagne semble insensible, pour le moment, aux effets néfastes du Covid.
Cette confraternité des perdants n'a rien pour rassurer le président, dont l'activisme, jusqu'à présent, était accompagné d'optimisme. Il se moque de perdre les élections intermédiaires, il veut reconstituer une majorité de cœur qui balaie les sectarismes, et surtout, il ne voit pas encore un homme ou une femme en capacité de le battre. Mais la pandémie introduit dans le tableau électoral une inconnue supplémentaire dont les effets délétères atteignent déjà Jean Castex dans les sondages. Elle pourrait condamner M. Macron à un mandat unique.
Le spectre d'une guerre civile
À quoi, bien sûr, il faut ajouter la recrudescence du terrorisme en France, avec l'horreur spécifique de l'assassinat d'un enseignant, qui va forcément durcir la loi sur le séparatisme. L'exécutif est prêt à sévir en attaquant le mal à la source, mais l'efficacité de nouvelles mesures sera mise à l'épreuve. C'est une bataille de long terme qui ne peut pas être inscrite dans le calendrier. Pour Macron, il y a plus à perdre qu'à gagner dans ce combat : il s'agit de distinguer les terroristes des musulmans, tri difficile, au cas par cas, les djihadistes se mêlant au peuple où ils sont comme les poissons dans l'eau chers à Mao Tsé Toung. Dans cette conjonction de maux contemporains, les Français ont peur. Les écoliers et leurs professeurs ont d'excellentes raisons d'être terrifiés, les citoyens qui n'ont aucune raison de s'exprimer en public sur leurs convictions savent qu'ils sont une cible facile puisque l'idée des assassins consiste à tuer des gens pour épouvanter tous les autres. Le projet n'est pas de restituer sa sainteté invulnérable à Mahomet, mais de créer le contexte d'une guerre civile.
Cependant, la terreur est un instrument d'unité, pas la pandémie, sujette à un autre effet indésirable, le moulin à paroles, inextinguible pulsion qui affecte la plupart des Français. Tout est fait pour analyser le passé récent au lieu de lutter contre la menace actuelle. Il existe une interaction irrésistible entre la pandémie et les rendez-vous électoraux. Les oppositions, même si elle le pensaient, ne diront jamais que Macron a bien géré le virus. Le paradoxe veut que ce que droite et gauche reprochent à l'exécutif n'est pas ce que les Français lui reprochent. Ils auraient souhaité retrouver leur liberté, ils ne l'ont pas. L'amertume née de leur inconfort les aveugle. Il y en a qui disent préférer le fatalisme aux gestes barrières. C'est le comble de l'inconscience et, au fond, celui ou celle qui emportera l'élection de 2022 se sera contenté de la satisfaire.