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Dossier

Bilan des incitations à l'installation

Le désert, oui, mais avec des garanties !

Par Camille Roux - Publié le 06/04/2018
Le désert, oui, mais avec des garanties !

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Minerva Studio / Adobe Stock

Comme ses prédécesseurs, le gouvernement Macron poursuit le pari des incitations à l’installation pour lutter contre la désertification médicale. Ces aides remportent-elles du succès ? Qu’apportent-elles aux jeunes médecins ayant choisi d'exercer dans les déserts ? Témoignages.

La formule magique pour inciter les jeunes médecins généralistes à s’installer dans des territoires dépourvus de praticiens n'a pas encore été trouvée. Mais depuis plusieurs années, le gouvernement a fait le choix de développer des mesures incitatives. Ces aides financières des pouvoirs publics ou de l’Assurance maladie visent à convaincre les médecins – plutôt qu'à les contraindre – de se former et de s'installer dans les territoires déficitaires en offre de soins : 50 000 euros brut en deux ans dans le cadre du contrat d'aide à l'installation des médecins (CAIM), salaire minimum garanti et protection sociale avec le contrat de praticien territorial en médecine générale (PTMG), ou bourse pour étudiants décidés à s'implanter dans une zone sous-dotée avec le contrat d'engagement de service public (CESP).

Le Dr Claire Pacchioni, 28 ans, s’est installée à Bury dans l’Oise en octobre dernier, à peine un an après le passage de sa thèse. À dessein, cette Picarde pure souche n’a jamais vraiment quitté sa région de coeur. Elle a effectué son internat à Amiens après des études à Angers et à Tours. En s’installant dans la Maison de santé pluridisciplinaire de ce village de près de trois mille âmes fiché à l’ARS comme zone en tension, elle a bénéficié à la fois des 50 000 euros du CAIM et du dispositif de praticien territorial, qui lui a assuré un revenu minimum de 6 900 euros pendant un an. « Avant même d’être diplômée, je savais que je m’installerai à Bury, confie le Dr Pacchioni. J’y avais effectué mon premier stage d’interne. Nous étions plusieurs jeunes médecins à intégrer la maison et j'aimais cette dynamique. » Les aides ont constitué pour la jeune généraliste un effet d'aubaine, un plus, une garantie pour la suite. « Nous sommes actuellement cinq dans la MSP, mais deux généralistes sont proches de la retraite, explique-t-elle. Il va falloir continuer à faire marcher la société, payer les secrétaires, les services de ménage… Sans l'assurance de trouver de nouveaux médecins. L’avenir demeure incertain. »

Nouvelle patientèle

L’aide à l’installation est en effet perçue comme une véritable sécurité financière pour les jeunes praticiens, en particulier ceux qui se lancent dans une création. « En dépit de la forte demande, constituer une patientèle peut prendre du temps », explique le Dr Marie Brosset, installée à Miniac-Morvan (Ille-et-Vilaine) dans un cabinet de groupe. Lors de son installation début 2016, la généraliste a signé un PTMG qui vient de s’achever Ce complément de revenus lui a permis d’être plus sereine les premiers mois. « On repart de zéro avec chaque patient. On met facilement 30 minutes par consultation pour remplir leur dossier médical. Le PTMG nous permet donc d’assurer un minimum de revenus et un suivi correct des patients », constate aussi le Dr Emmanuel Ollé, installé avec une consœur à Pitres (Eure) depuis mars 2017.

Contrairement au Dr Brosset, le Dr Ollé et son associée le Dr Élodie Crevel auraient pu également prétendre au CAIM puisqu'ils étaient installés depuis moins d'un an. Mais c’était sans compter sur la redéfinition du zonage par les Agences régionales de santé (ARS) en décembre dernier. « Comme nous étions désormais deux médecins sur le secteur, notre zone n’était plus répertoriée comme prioritaire et les aides nous ont été finalement refusées », explique le Dr Ollé, qui avait également bénéficié du CESP durant son internat. Avant même de passer sa thèse, il souhaitait déjà s'installer en zone sous-dotée. Deuxième déception, l’aide maternité du praticien territorial est également passée sous le nez de sa collaboratrice. Pour la percevoir, elle devait justifier de trois mois de PTMG antérieurs à son congé maternité. Or, elle n’avait signé le contrat que depuis un mois lorsqu'elle a cessé de travailler. Le généraliste de Pitres a finalement touché le salaire minimum pendant quatre mois, le temps de s'assurer un revenu au moins égal au plafond du contrat. « En zone défavorisée, les patients nous attendent de pied ferme et on ne met pas longtemps à remplir l'agenda. »

Sécurité financière

Le coup de pouce du PTMG pour la prévoyance a aussi permis à ces jeunes médecins de souffler lors des premiers mois. « Ce contrat de groupe est une franche amélioration. Il n’est pas fonction des antécédents médicaux comme les contrats privés, qui ne prennent pas en charge les pathologies antérieures », explique le Dr Brosset. Le complément de revenus du praticien territorial lui a également permis de payer plus facilement ses cotisations retraite de la Carmf. « Je me suis installée une année où la Carmf a revu son mode de régularisation et j’ai dû payer deux années d’un coup, ce qui représentait une charge importante, à laquelle je ne m'attendais pas », précise la généraliste de Miniac-Morvan.

Un projet d’installation implique également de grosses dépenses en termes d’immobilier, d’achat de matériel pour le cabinet, etc. Auprès des banques, le PTMG peut donc représenter une garantie non négligeable. Les Dr Ollé et Crevel ont par exemple fait construire leur cabinet dans le respect de l’environnement. « C’est un gros investissement pour deux médecins qui n’ont jamais été installés et manquent d’éléments pour donner confiance quant à leurs futurs revenus », confie le Dr Ollé. Pour des travaux supplémentaires, ceux-ci devront cependant attendre, faute de CAIM.

Un bonus parfois déterminant

Sans cette aide, j'aurais certainement pris une autre voie

Dr Pierre Auguet-Mancini
Généraliste à Chabris (Indre)

Guidés par une vocation, ces médecins se seraient sans doute installés sans ces aides. Pour d'autres, elles ont été déterminantes. Le CAIM a littéralement boosté le projet de reconversion du Dr Pierre Auguet-Mancini, généraliste à Chabris (Indre) depuis un an. Il a tout d’abord exercé six ans en tant qu’addictologue à Roubaix, mais la tentation d’une « vie au calme » se faisait pressante. « Je ne connaissais pas du tout l’Indre mais je voulais me rapprocher de la région Centre, pas loin des grands axes », explique-t-il. Il tombe sur une annonce dans un journal local et rencontre le maire de Chabris, qui cherche un généraliste pour sa MSP. Tout s’enchaîne ensuite. Deux semaines plus tard, il lance son projet d’installation. Éligible au CAIM, il bénéficie aussi d’une aide du conseil départemental de 15 000 euros. « Pour moi, il était nécessaire d’avoir des fonds pour ouvrir mon cabinet, acheter le matériel, un véhicule… Je ne pouvais pas tout quitter du jour au lendemain sans cette sécurité », poursuit le généraliste de 34 ans. D’autant plus que le Dr Auguet-Mancini s’était engagé financièrement dans l’achat d’un appartement dans le Nord. « Sans cette aide, j’aurais certainement pris une autre voie, confie-t-il. J’aurais pu rester dans le domaine de l’addictologie sur un poste intéressant. Aujourd’hui, je ne regrette rien. »

AIM, PTMG, CESP… QUÈSACO ?

> Le contrat d'aide à l'installation des médecins (CAIM), issu de la Convention 2016, est un contrat tripartite de 5 ans passé par le médecin avec l'ARS et l'Assurance maladie. Il s'adresse à de jeunes médecins de secteur I ou adhérant à l'Option de pratique tarifaire maîtrisée (Optam) qui s'installent en zone sous-dotée définie par l'ARS ou ont vissé leur plaque depuis moins d'un an. Ce dispositif leur permet de bénéficier de 50 000 euros brut, versée en deux temps – une première moitié lors de l'installation, la seconde un an après. Le médecin peut également prétendre à une majoration de 2 500 euros s'il exerce partiellement dans un hôpital de proximité. Le CAIM vise à aider le praticien à faire des investissements dans son cabinet. Le bénéficiaire s'engage à exercer une activité libérale d'au minimum 2,5 jours par semaine ou à temps plein et à participer à la permanence des soins. Cette aide s'adresse à ceux qui exercent en groupe, dans une communauté professionnelle territoriale de santé ou au sein d'une équipe de soins primaires.

> Le contrat de praticien territorial en médecine générale (PTMG), est aussi destiné à de jeunes praticiens à tarifs opposables qui s'installent en zone déficitaire. Issu du pacte territoire santé de Marisol Touraine en 2013, ce dispositif ouvre droit à un complément de rémunération mensuel pendant un an renouvelable. Il est accessible sous certaines conditions, dont un minimum de 165 actes par mois (82 pour un temps partiel). Le médecin se voit garantir un revenu brut mensuel de 6 900 euros (3 450 euros pour un temps partiel). La différence entre ce montant et ce qu'il perçoit de ses actes est de maximum 3 105 euros brut. Le PTMG garantit également un forfait en cas de congé maternité ou maladie.

> Le contrat d'engagement de service public (CESP) concerne les étudiants en médecine qui, en échange d'une bourse, s'engagent à exercer en zone défavorisée une fois diplômés. Créé en 2011, il est destiné aux carabins de la 2e à la dernière année d'études. Ils bénéficient d'une allocation mensuelle de 1 200 euros brut jusqu’en fin de cursus. Ils s’engagent à s'installer au moins autant de temps que la durée de l'aide en zone déficitaire. S'ils perçoivent le CESP pendant leurs trois dernières années d'internat, ils devront s'installer trois ans en zone sous-dotée par exemple.
 


Dossier réalisé par Camille Roux