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Une infirmière peut-elle pratiquer l’épilation laser dans le cadre de la délégation de tâche, sans la présence d’un médecin ?

Publié le 08/12/2020

Besoin d’une aide juridique dans le cadre de votre activité médicale ? Les lecteurs du « Quotidien » ont soumis leurs questions aux avocats du cabinet Auché, partenaire du journal.

Alexane
Bonjour, est-il possible de pratiquer du laser (épilation définitive) en tant qu’infirmière, ayant reçu une formation et pratiqué depuis plusieurs années sans présence de médecins ? La délégation médicale signifie-t-elle la présence obligatoire pendant les actes de ce dernier ? Merci pour votre réponse.
Chère Madame,
Vous ne serez pas inquiétée à pratiquer l’épilation au laser en qualité d’infirmière spécialement formée pour cette activité.

En effet, si l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être réalisés que par des médecins, et incluant l’épilation laser, est toujours en vigueur malgré son caractère ancien et contesté, la législation va très rapidement s’adapter, et la jurisprudence est déjà venue en faire une application très souple...

En effet, par un arrêt du 8 novembre 2019, le Conseil d'Etat a conclu à la nécessité d’abroger le texte, selon le raisonnement suivant : il ne peut être apporté de restrictions à la libre prestation de services qu’à la condition qu’elles soient justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, non discriminatoires et de nature à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire.

La protection de la santé publique – ici, éviter les brûlures ou les réactions inflammatoires – peut constituer une restriction légitime. Mais en l’occurrence, le Conseil d’Etat considère que celle qu’apporte le 5° de l’article 2 de l’arrêté du 6 janvier 1962 va au-delà de ce qui est nécessaire et est donc disproportionnée par rapport au but poursuivi.

En effet, les appareils à la lumière pulsée sont aujourd’hui couramment commercialisés auprès du grand public et ne font l’objet d’aucune réglementation restrictive de vente. Rien ne s’oppose donc à leur manipulation par des non-médecins, dès lors qu’il est possible de prendre des mesures adaptées pour protéger la santé publique : examen préalable des personnes par un médecin, formation des utilisateurs, etc.

Le Conseil d’Etat fait donc obligation aux autorités compétentes d’abroger cette partie de l’article 2 de l’arrêté de 1962, dans un délai raisonnable.

Très récemment, la Cour de cassation est venue confirmer cette position.

Dans un arrêt rendu le 31 mars 2020, la Cour de cassation confirme que la restriction à la libre prestation de service par l’arrêté de 1962 est considérée comme disproportionnée.

Reprenant l’argumentation du Conseil d’Etat, la Cour considère que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par des non-médecins n'est pas justifiée "dès lors que les appareils utilisés peuvent être acquis et utilisés par de simples particuliers et que leur usage est autorisé aux esthéticiens pour les soins de photo rajeunissement qui présentent des risques identiques à ceux concernant l'épilation".

De plus, s’il est exact que l'épilation à la lumière pulsée peut avoir des effets indésirables légers selon le rapport et l'avis de l'Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSES) d'octobre et décembre 2016, et qu’il peut donc être justifié de la soumettre à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, on ne peut pour autant en conclure que ces actes ne peuvent être effectués que par un médecin.

La Cour de cassation souligne ensuite que la France a "notifié à la Commission européenne un projet de décret ouvrant la pratique de l'épilation à la lumière pulsée aux esthéticiens sous certaines conditions de formation", suivant en cela les préconisations du Conseil d’Etat dans son arrêt du 8 novembre 2019.

Elle conclut : "au vu de ces éléments, il y a lieu de revenir sur la jurisprudence antérieure et de considérer que l'interdiction de l'épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins est contraire aux articles précités du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)".

Cette décision est conforme aux principes dégagés par le Conseil d’Etat le 8 novembre 2019. Il n’aurait en tout état de cause pas été logique que la chambre criminelle retienne une complicité d’exercice illégal, alors qu’injonction a été faite aux pouvoirs publics d’abroger le texte qui aurait ici justifié l’infraction.

Reste à présent à attendre que cette abrogation soit effective et que paraissent les textes qui permettront de fixer le nouveau cadre juridique de la réalisation des épilations à la lumière pulsée.


Toutefois, à mon sens, d’ores et déjà en l’état de la jurisprudence, vous pouvez sans risque d’être sanctionnée, pratiquer ces épilations à condition d’avoir été formée pour.  
Très bien à vous
 
Instagram: @m.geneste

Source : lequotidiendumedecin.fr