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Dossier

Quel outil pour le dépistage du cancer du col ?

Le match frottis/test HPV

Publié le 28/02/2014
Le match frottis/test HPV


SPL/PHANIE

En sera-t-il des tests HPV pour le cancer du col comme des tests immunologiques pour le cancer du colon ? Alors que plus en plus d’études confirment la supériorité de ces tests par rapport au frottis pour le dépistage du cancer du col de l’utérus, les institutions temporisent. Et préfèrent d’abord organiser le dépistage avant d’envisager leur utilisation à plus large échelle.

Frottis classique ou test HPV ? La généralisation annoncée du dépistage organisé du cancer du col remet sur le devant de la scène la question du test à privilégier en première intention pour ce dépistage. Et si, sur le terrain, certains praticiens attendent déjà avec impatience la substitution du frottis par le test HPV jugé plus performant, les autorités sanitaires semblent moins pressées, estimant que la France n’est pas encore prête pour la transition.

Alors que certains pays d’Europe ont déjà franchi le pas, dans l’Hexagone, « le dépistage généralisé du cancer du col se fera donc au moyen d’un frottis vaginal tous les trois ans de 25 à 65 ans », indique le Dr Jérôme Viguier, (directeur adjoint du pôle santé publique et soins, INCa).

Les faiblesses du frottis

Plusieurs éléments jouent pourtant en défaveur du frottis et notamment son manque de sensibilité, 30 % des cancers invasifs étant diagnostiqués chez des femmes ayant eu des frottis à intervalles réguliers. Les tests HPV pourraient faire mieux comme l’a récemment démontré une étude randomisée multicentrique européenne (176 464 femmes de 20 à 64 ans) publiée dans le Lancet.

Alors que, jusqu’à présent, les preuves ne concernaient que la détection des pré-cancers (dysplasie sévère CIN3), ce travail montre que « lorsqu’on compare l’impact d’un dépistage cytologique versus test HPV en terme de prévention du cancer invasif du col, on observe sur un suivi de plus de 6,5 ans une diminution de 60 à 70% du risque dans le groupe test », détaille le Dr Joseph Monsonégo (Institut du Col, Paris). Autrement dit, le test HPV pratiqué tous les 5 ans confère une protection vis-à-vis des cancers invasifs supérieure de 70% à celle du frottis tous les 3 ans. A condition toutefois que le processus de dépistage soit déjà bien implémenté puisque cette étude concernait des pays ayant tous déjà fait le choix du dépistage organisé.

Trois arguments en faveur du test HPV

Pour le repérage des lésions précancéreuses – l’objectif premier du dépistage organisé –, trois arguments avec un haut niveau de preuve sont en faveur du test HPV. Tout d’abord le fait que ce test augmente la sensibilité de détection de lésions de haut grade (néoplasies cervicales intra-épithéliales de grade 3 CIN3) par rapport à la cytologie conventionnelle. « Utilisé en dépistage, ce test augmente la détection d’environ 30 à 35% de ces lésions CIN3, souligne le Dr Monsonégo. Il permet aussi de détecter plus précocement les lésions de haut grade. Or alerter le plus tôt possible est primordial dans les pays où l’observance au dépistage est faible, ce qui est le cas en France. » Enfin, un test HPV négatif garantit dans plus de 95% des cas l’absence de lésion de haut grade dans les 5 voire 8 années à venir et la possibilité d’espacer l’intervalle du dépistage en toute sécurité. A 5 ans, les femmes qui sont « cytologie négative » ont 1% de risque de développer une lésion de CIN3+, contre 0,27% pour les femmes HPV(-).

Le test HPV est-il alors le test idéal ? Pas totalement, car beaucoup d’infections sont simplement transitoires et leur détection peut conduire à des surdiagnotics, des surtraitements et des inquiétudes inutiles, notamment chez les femmes jeunes (avant 30-35 ans, le test HPV n’a d’ailleurs pas sa place pour cette raison).

Au-delà de la trentaine, pour parer à cela, on s’orienterait vers des stratégies qui augmentent la spécificité du test. Tout d’abord à l’aide d’outils désormais disponibles : les tests HPV de génotypage.

« Alors qu’il y a deux ans on raisonnait en “présence de virus HPV en général”, on distingue désormais une graduation du risque en fonction des génotypes viraux à risque de lésions sous-jacentes de haut grade. Il existe d’ores et déjà des tests validés dans des études randomisées et qui ont fait la preuve de leur pertinence clinique », explique le Dr Monsonégo. Le repérage des génotypes actifs 16 et 18 notamment se révèle très utile pour évaluer le risque lésionnel actuel ou futur et indiquer le cas échéant une colposcopie même si le frottis est normal. Il est démontré dans l’étude Athena sur 47 000 femmes que lorsqu’on détecte sur un frottis normal un HPV16, le risque d’avoir une lésion de CIN3+ méconnue à la cytologie est de 12%.

L’autre approche en développement est celles des ARN messagers, l’expression des ARN indiquant un virus qui exprime les gènes viraux E6 et E7, d’où une meilleure spécificité par rapport à un test ADN. L’étude FASE a démontré en 2012 une spécificité accrue de 6 % et une sensibilité identique comparée à un test ADN pour les CIN3+.

Vers une stratégie combinée ?

Au delà de ces outils, il serait aussi possible d’inverser la stratégie de dépistage et réaliser un screening primaire fondé sur le seul test HPV suivi d’un tri des HPV(+) par une cytologie conventionnelle. L’idée : rassurer les femmes HPV et leur épargner des dépistages trop rapprochés « pour se focaliser sur les 8% de patientes à risque HPV(+) », précise Joseph Monsonégo. Plusieurs études ont confirmé la pertinence de cette approche, très sensible et plus spécifique.

« L’examen de dépistage pourrait être à l’avenir une recherche directe du papillomavirus (test HPV). Le test HPV ne détrônerait pas le frottis mais ce dernier pourrait venir en seconde ligne, en cas de test HPV+, notamment aux génotypes viraux 16 et 18, confirme Isabelle Heard (gynécologue-obstétricien à l’AP-HP et co-directrice du CNR HPV à l’Institut Pasteur). L’utilisation d’un test HPV nécessiterait cependant la mise en place au préalable de structures d’analyse virologique et le choix d’un test approprié permettant la recherche directe de l’ADN des HPV oncogènes. »

Encore des problèmes d’organisation

Or c’est peut être là que le bât blesse en France actuellement. Dans un document de décembre 2013, la HAS considérait que « la mise en œuvre du test pour la détection des HPV en dépistage primaire en population générale [était] actuellement prématurée », les conditions n'étant pas remplies sur le plan organisationnel et de l’assurance qualité.

Comme le précise le Dr Isabelle Heard, l’un des problèmes est la manière dont les tests HPV sont utilisés en France, sans réel contrôle. « Notre rôle au CNR-HPV est de conduire des contrôles nationaux de qualité. Or nous nous sommes rendus compte que la phase pré-analytique laissait beaucoup à désirer, avec l’utilisation fréquente de milieux de transport non validés avec les tests HPV utilisés. De plus, près de la moitié des laboratoires utilisent des tests qui n’ont jamais été validés pour la clinique. » Le CNR doit prendre le temps d’évaluer les tests qui seront utilisés et l’organisation qui en découlera. L’idée étant que le jour où le dépistage sera réellement organisé et opérationnel on dispose d’un ou de quelques tests HPV parfaitement validés.

Pour le Dr Jérôme Viguier, « Nous ne sommes pas aujourd’hui en capacité de partir directement sur le test HPV en première ligne du dépistage, à la fois pour des raisons techniques et de capacité logistique, mais aussi compte tenu des habitudes des professionnels de santé et parce que les algorithmes de prise en charge en cas de tests HPV positifs sont encore à formaliser ».

C’est d’ailleurs l’objectif des expérimentations comme le projet START-HPV mené dans les Ardennes (résultats fin 2014-début 2015) qui « ne teste pas l’efficacité du test HPV en première ligne de dépistage – c’est déjà chose faite par plusieurs études internationales – mais évaluent ce type de procédures et les algorithmes de prise en charge qui en découlent ainsi que l’acceptabilité par le public et les médecins généralistes », explique le Dr Viguier.

Ainsi, si sur le plan scientifique, l’intérêt des tests HPV semble bien établi, leur utilisation en première ligne ne devrait pas être effective avant plusieurs années. Et pour les autorités sanitaires, la généralisation du dépistage organisé apparaît plus comme un préalable à leur déploiement que comme une occasion idéale pour faire la transition.

Une prise de position que regrette certains praticiens comme le Pr Monsonego pour qui attendre la mise en place en France d’un dépistage organisé pour ensuite se préoccuper du test et de la stratégie adéquate peut être une perte de chance à titre individuel.