Courrier des lecteurs

Le prisonnier, le surveillant et le médecin

Publié le 04/11/2019

« Il suffisait qu’il pensât l’être pour qu’il le fût ». Ainsi pourrait-on résumer la stratégie de surveillance des prisonniers inventée par le génial Jeremy Bentham (1) et qui conduisit au Panoptikon (2), si bien analysé par Foucault (3). Le « double usager du service public » qu’est la personne sous-main de justice, bénéficie de la surveillance attentionnée de la structure pénitentiaire, qui ne manque pas (dans le respect du secret professionnel) de faire part aux services médicaux, des plus subtils changements observés tant sur le plan physique que moral, durant le temps de contact (plus important que celui dévolu au corps médical) avec les détenus et de faire remonter ces informations à qui de droit.

De même, le corps médical (dans le respect du secret professionnel) fournit à l’administration pénitentiaire, autant d’informations qu’il l’estime nécessaire au maintien ou la restauration de la santé physique et morale du détenu.

Les deux rôles alloués à la détention (4) sont : 1) maintenir hors de la société un individu susceptible d’y nuire ; 2) participer à sa réinsertion afin d’éviter les récidives. Si le corps médical ne participe en rien au premier objectif, en revanche avec la collaboration en bonne intelligence de l’administration pénitentiaire, il contribue à la réalisation de la seconde.

La surveillance pénitentiaire constitue un premier maillage de la thérapie du patient (5) puis le corps médical prend le relais pour la mettre en œuvre. En cela, le surveillant pénitentiaire (6) n’est plus un simple gardien des clefs, mais accède à un statut de « lanceur d’alerte », dont le législateur (jusqu’alors) ne s’est pas emparé.

À notre époque, les portes des prisons sont pleines et la vidéosurveillance étend son BigBrovhérisme (7). Mais à celle de Jeremy, les portes étaient munies de barreaux, et l’ombre des prisonniers, formée par la lumière émanant de leur fenêtre, se projetait sur la coursive… C’est alors qu’ils redoutaient ou souhaitaient, qu’un surveillant détecta la plus infime variation de leur silhouette.

Vous souhaitez vous aussi commenter l'actualité de votre profession dans le « Quotidien du Médecin » ? Adressez vos contributions à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr .

[1] Jeremy BENTHAM, (1748-1832 à Londres), philosophe du droit, précurseur, entre autre, de la cause féministe
[2] Structure architecturale permettant de “tout voir”, et de surveiller sans être vu.
[3] FOUCAULT (M.), “Surveiller et punir”, Gallimard, Paris, 1975
[4] Idem
[5] Loi n°94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale
[6] L’évolution récente de la profession de surveillant pénitentiaire la rapproche de l’exercice de celle de l’infirmier en psychiatrie, dont Jean-Baptiste Pussin fut le précurseur en collaboration avec Philippe Pinel à l’asile de Bicêtre puis de la Salpêtrière, qui introduisit la clinique en psychiatrie.
[7] Allusion à Big Brother dans l’ouvrage “1984” de George ORWELL.
[8] thèse en cours : “La collaboration rénovée du service public hospitalo-pénitentiaire”, Université d’Artois, 

Dr Thierry Deregnaucourt Médecin généraliste, Chef de service de l'USMP de la maison d'arrêt de Douai Christine Metz, doctorante en droit (8)

Source : Le Quotidien du médecin