Face à l'incroyable résistance du trumpisme, heureusement qu'il y a eu le centriste Joe Biden. Un Bernie Sanders ou une Elizabeth Warren auraient été écrabouillés par la tornade populiste. Ce n'est pas le moindre mérite du parti démocrate d'avoir dosé le « ticket » présidentiel avec une certaine maestria : Joe pour rassurer tout le monde et Kamala (Harris) comme candidate à la vice-présidence pour faire croire à la gauche du parti qu'elle n'est pas oubliée (Mme Harris n'est ni socialiste ni gauchiste). Une différence de quatre points entre les deux candidats est fréquente dans une présidentielle, mais cela n'empêche pas Donald Trump d'avoir avec lui 70 millions d'électeurs (contre 75 pour Biden). Le président élu s'est empressé de dire qu'il serait celui de tous les Américains, ce qui est tout à fait conforme à son caractère de rassembleur centriste, mais le résultat du scrutin lui annonce beaucoup d'ennemis.
Biden était à deux doigts d'avoir la majorité au Congrès. Il la garde à la Chambre, mais le Sénat reste républicain. Il n'est pas difficile d'imaginer que les sénateurs de l'opposition vont lui mener la vie dure. C'est le cas depuis longtemps et Barack Obama peut témoigner de la hargne républicaine à son égard. En 2016, le parti a été conquis par surprise par Trump dont l'avènement avait été préparé par le Tea Party, une version des idéaux républicains qui plaçait la religion, le nationalisme et le protectionnisme au-dessus de tous les engagements des États-Unis. Une fois au pouvoir, Trump a fait comprendre à son parti qu'il devait se dévouer sans compter à sa personne, au populisme et à la forme la plus ubuesque de gouvernance. Quatre ans, c'est long : les Républicains ont oublié Lincoln.
Extrême gauche contre extrême droite
Depuis la mort de John McCain, sénateur républicain de l'Arizona, le dialogue entre républicains et démocrates est réduit à néant tant la furia des premiers empêche tout rapprochement avec les seconds. Joe Biden aura donc beaucoup de mal à trouver des compromis avec l'opposition alors que les États-Unis ont besoin de réformes, sanitaire, économique et sociale, urgentes. Bientôt âgé de 78 ans, M. Biden ne se présentera sans doute pas à un second mandat, ce qui laisse la possibilité à Kamala Harris de se présenter à l'investiture démocrate en 2024. Elle est jeune, compétente et dynamique, mais elle n'a pas le quart de l'expérience politique de Joe Biden, dans un univers où les tendances gauchistes sont parfois irréductibles. C'est l'autre Amérique qui, elle non plus, ne voudra pas passer de compromis. C'est une gauche, presque une extrême gauche, face à une droite qui a basculé vers l'extrême droite. Mélenchon contre Le Pen, en quelque sorte.
L'élection de M. Biden représente à n'en pas douter un coup de frein qui bloque momentanément l'ascension du populisme aux États-Unis. Il ne faut pas néanmoins sous-estimer le phénomène. Il est raciste, xénophobe, isolationniste. Il fait du cynisme et de l'égoïsme les fondements de son « éthique ». Il est dangereux pour les institutions américaines car il se livre à de fréquents abus de pouvoir. Il est dangereux pour le monde parce qu'il cède à des pulsions de haine complètement à l'opposé de ce que recommande la démocratie parlementaire. Il n'a enfin aucune justification : l'Amérique est riche, mais elle dépense très mal sa fortune. La misère et les inégalités s'y aggravent quand le budget militaire est stratosphérique. La fameuse prospérité induite par les relances financières de Trump ont caché les faiblesses structurelles de l'économie et de l'assurance-maladie ; et sa gestion du Covid, tout en prouvant la nécessité de refonder le système de soins, a été catastrophique. On ne peut que souhaiter à Joe Biden de réussir. Mais on ne peut ignorer ces 70 millions d'électeurs qui ont voté pour Trump.