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Dossier

Europe et médecine générale : la fin de l’exception française ?

Les généralistes de l’UE au cœur des réformes

Publié le 23/05/2014
Les généralistes de l’UE au cœur des réformes


GARO/PHANIE

Dans l’Union européenne, les systèmes de santé sont en train de changer. Même si la santé – absente de la campagne – ne fait pas partie des prérogatives de l’UE, la crise a contraint les pays à adopter des stratégies pour faire des économies. Plusieurs États membres semblent vouloir miser sur les soins primaires. Au cœur de ce recentrage, le médecin traitant est donc aussi souvent au cœur des réformes. Les singularités s’estompent et les règles du jeu se rapprochent.

Comment améliorer un accès à des soins de plus en plus coûteux tout en faisant des économies ? Voici le casse-tête que doivent résoudre les chefs d’État européens. Et, en période de rigueur budgétaire, l’organisation du système de santé, notamment de la médecine ambulatoire, est devenue un des principaux enjeux des politiques de santé. De fait en France, comme dans le reste de l’UE, « la tendance est de recentrer le système de santé sur les services de soins primaires », comme l’explique Caroline Berchet, analyste des politiques de santé à l’OCDE. Avec, à la clé, un « rôle central attribué au généraliste » qui doit à présent, non seulement prendre en charge ses patients, mais aussi les orienter vers les spécialistes en limitant, autant que possible, les hospitalisations inutiles.

Convergence des systèmes de santé européens

Pour Yann Bourgueil (photo) pas de doute : « les systèmes de santé européens ont été impactés par la crise », souligne cet expert des questions de santé. Le directeur de l’IRDES évoque d’abord ceux du sud, où « l’accès aux soins se dégrade », comme en Grèce. Alors que mieux lotis, les autres pays semblent moins exposés aux politiques de « rationnement des soins ». Mais pas forcément aux réformes destinées à réduire les dépenses… Le fait est que, quel que soit le rythme adopté, au nord, comme au sud, certaines « tendances » de fond, communes à toute l’Europe, se dessinent. Au point que Yann Bourguei n’hésite pas à parler d’une « convergence » des systèmes de santé européens. Et, à chaque fois, les généralistes sont concernés.

La tendance est au regroupement et à la pluridisciplinarité

À commencer par la tendance au regroupement. L’essor des maisons et des pôles de santé n’est pas, en effet, une spécificité française. La France était même en retard sur le

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reste de l’Europe sur ce point. Même si elle ne cesse de progresser, la médecine de groupe restait encore, il y a cinq ans, moins développée dans l’Hexagone que dans d’autres pays, selon une étude de l’Irdes. Alors qu’elle était depuis longtemps dominante en Finlande, en Suède, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Le coup d’accélérateur donné ces derniers temps par Marisol Touraine, qui a étendu les financements des équipes pluridisciplinaires à 160 nouveaux projets, suffira-t-il à rattraper le retard ? Pas si sûr.

Quoi qu’il en soit, le fait de ne plus exercer en cabinet individuel amène les professionnels de santé à se repartir les tâches autrement. C’est ainsi que, dans certains pays, « le rôle des infirmiers est en train d’évoluer », explique Yann Bourgueil. De nouvelles compétences leur sont accordées. Caroline Berchet cite l’exemple de la Suède où certaines catégories d’infirmiers ayant reçu une formation supplémentaire ont le droit de prescrire des médicaments. C’est loin d’être le cas en France où, néanmoins, certains infirmiers jouent un rôle de plus en plus important via les vaccinations, par exemple, ou dans le suivi des pathologies chroniques. Comme ceux impliqués dans l’expérimentation Sophia, chargés de l’accompagnement téléphonique de patients diabétiques.

Le paiement à la performance se répand

Au-delà du regroupement, la diversification des modes de rémunération est également au cœur du changement. Capitation ? Acte ? Salariat ? Quel système est le plus européen ? Aucun ou tous à la fois à en croire les experts.

 La tendance est d’aller vers un mode de paiement mixte

, affirme Yann Bourgueil. Car le paiement à l’acte, qui paraît parfois ringard aux yeux de l’avant-garde de la profession, n’aurait pas encore dit son dernier mot… Si en France, en effet, les forfaits ont le vent en poupe (forfait médecin traitant, personnes âgées, travail en équipe), dans d’autres pays européens plutôt basés sur la rémunération à la capitation, on commencerait à introduire un zeste de paiement à l’acte, considéré comme étant plus incitatif et donc susceptible de booster le rythme de travail des médecins. Le but étant, in fine, de combiner les avantages des différents modes de rémunération.

Yann Bourgueil cite à ce propos l’exemple du Royaume-Uni mais aussi du nord de l’Europe qui suivrait la mode du mélange des genres. Caroline Berchet confirme cette tendance qui est d’associer paiement à l’acte, capitation et paiement à la performance. Et sur ce dernier point, contrairement à ce qu’on pourrait croire, la ROSP (Rémunération sur Objectifs de Santé Publique) française n’est pas un simple copié-collé du paiement à la performance ou P4P (lire pi for pi) britannique. Car la rémunération à la performance est beaucoup plus répandue que ce que l’on pourrait croire. « Des paiements à la performance pour les institutions où les médecins dispensant des soins primaires ont été instaurés dans quinze pays de l’OCDE », comme la France et le Royaume-Uni mais aussi l’Espagne, nous apprend ainsi Caroline Berchet.

La médecine générale (...) régule, dans la majorité des pays, l’accès aux soins spécialisés


Reste que, quel que soit le mode de rémunération, le généraliste européen est au centre des politiques de santé. Au sein de l’Union, l’inscription auprès d’un médecin traitant est un peu partout encouragée voire obligatoire. « La médecine générale s’est vue confier un rôle central pour assurer la coordination et la continuité des soins et elle régule, dans la majorité des pays, l’accès aux soins spécialisés », affirme l’analyste de l’OCDE. La figure du généraliste gate-keeper prévaut au Royaume-Uni mais également en Italie ou en Espagne où les assurés sont tenus de consulter en premier lieu leur médecin de famille, cette restriction de liberté allant de pair avec une quasi-gratuité des soins de premier recours. En France, le dispositif du médecin traitant, institué en 2004 pour les patients de plus de 16 ans, est basé sur des pénalisations de remboursement hors parcours de soins qui n’ont cessé de se renforcer ces dix dernières années.

Le paiement direct, spécificité de l’Hexagone, mais pas la liberté d’installation

À l’heure de l’harmonisation des systèmes de santé, que reste-t-il alors de l’exception française ? Du côté de la liberté d’installation ? Non : contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est plutôt « une règle générale au sein des pays de l’OCDE pour les prestataires privés », remarque Caroline Berchet. C’est seulement en Allemagne, où les libéraux sont soumis à un conventionnement sélectif sur base régionale, que les médecins n’en bénéficient pas. On remarquera, par ailleurs, que la Suisse – économiquement et politiquement en dehors de l’UE mais géographiquement en son sein – régule l’installation des médecins libéraux dans les zones à forte densité, idée qui séduit une partie de la classe politique française. La limitation de la liberté d’installation des jeunes médecins faisait, en effet, partie des propositions de Martine Aubry, alors candidate aux primaires socialistes.
 

En revanche, concernant le paiement direct de la consultation, la France semble plus relever de l’exception que de la règle. Si, comme dans l’Hexagone, en Belgique (et en Suisse), l’avance des frais est la norme, ce n’est pas le cas dans le reste du Vieux Continent où la dispense d’avance des frais est courante lorsqu’on se rend chez son généraliste. « L’avance des frais est souvent considérée comme un élément essentiel de la relation médecin-patient dans le système français », rappelle Caroline Berchet qui évoque là, peut-être sans le savoir, un des principaux arguments des syndicats de médecins libéraux, traditionnellement très attachés à cette pratique. Pratique qui devrait toutefois devenir, à l’horizon 2017, obsolète. En dépit des résistances du corps médical, Marisol Touraine, semble, en effet, bien décidée à généraliser le tiers payant avant la fin du quinquennat. Rapprochant ainsi la France du reste de l’Europe...