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Dossier

14e conférence d'hépatologie de Paris

Les nouveaux défis de l'hépatite B

Par Muriel Gevrey - Publié le 06/04/2021
Les nouveaux défis de l'hépatite B


SPL/PHANIE

Hépatites B, C et même D… La 14e conférence d’hépatologie de Paris a permis de faire le point sur les hépatites virales chroniques, en soulignant les défis qu’il reste à relever. En France, l’élimination du VHC d’ici 2030 semble réaliste, sous réserve d’atteindre les populations restées à l’écart jusque-là. Pour l’hépatite B, la guérison totale relève encore de la recherche et pour le moment, le traitement au long cours reste la règle, avec un enjeu d’observance important.

Avec une prévalence du portage de l’hépatite B chronique de 0,30 % (soit environ 135 000 personnes, dont 20 % méconnaissent leur statut), la France fait figure de pays à faible endémie pour l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB).

Un virus à ADN difficile à déloger

Pour l’instant, l’infection est contrôlable, à défaut d’être éradicable, mais au prix d’un traitement au long cours. « On peut arrêter l’évolution de l’hépatite B et aller vers une normalisation du foie. Mais le dépistage est insuffisant et la maladie évolue silencieusement. On voit encore arriver des patients au stade de cirrhose ou de cancer du foie », a souligné le Pr Patrick Marcellin (hôpital Beaujon, Clichy) lors de la 14e Paris Hepatology Conference. Une fois le diagnostic posé, « en France, l’obstacle au traitement est moins le coût qu’un problème de compliance et de suivi du patient », estime le Pr Marcellin.

Côté stratégie thérapeutique, le traitement de l’hépatite B se base essentiellement sur les analogues nucléosidiques ou nucléotidiques comme le ténofovir et l’entécavir. Ces traitements ne permettent pas une élimination virale complète, mais seulement une inhibition de la réplication virale.

Contrairement au VHC (qui est un virus à ARN), le VHB est un virus à ADN qui s’intègre dans le génome des hépatocytes. Dans les cellules hépatiques infectées, le matériel génétique du VHB adopte une forme d’ADN circulaire clos de façon covalente (cccDNA). Cette adaptation lui permet de se répliquer et de se chroniciser en pérennisant le réservoir de matériel génétique viral sans être accessible aux traitements actuels. « En prenant en compte la longue durée de vie des hépatocytes, le facteur limitant à l’élimination de l’infection est la clairance de ces réservoirs des cellules infectées », martèlent les spécialistes.

La guérison fonctionnelle en ligne de mire ?

Les pistes thérapeutiques actuelles, utilisant des cibles variées, visent des guérisons « fonctionnelles », qui pourraient permettre de stopper les analogues nucléosidiques lorsque les niveaux d’AgHBs se situent en dessous d’un certain seuil, comme l’explique le Dr Fabien Zoulim (Lyon). Le développement des prodrogues d’analogues nucléosidiques fait aussi son chemin, pour faciliter la tolérance pour un traitement qui se conjugue au long cours. Mais le but ultime reste l’élimination pure et simple du virus.
De nombreuses stratégies sont à l’étude, visant à diminuer la réplication virale ou activer une réponse immunitaire spécifique.

La technologie de l’ARN interférent qui bloque la production de protéines virales, et notamment l’AgHBs, en agissant sur les ARN messagers viraux, est présente dans de nombreux programmes de recherche. Elle a l’inconvénient de ne pas agir directement sur le cccDNA, le microchromosome viral, ce qui implique d’associer plusieurs molécules de mécanisme d’action différent. Différents inhibiteurs de la réplication du VHB, qui n’ont pas d’action directe sur l’expression des protéines virales, pourraient être complémentaires en agissant sur l’entrée virale, les nucléocapsides, la polymérase virale ou la sécrétion des particules virales. Des essais de combinaison sont en cours pour démontrer l’impact de ces stratégies sur le minichromosome viral ou sur les restaurations des réponses immunitaires, et finalement sur l’élimination de l’AgHBs.

Les immunomodulateurs sont également en lice et doivent trouver leur place. Cette stratégie consiste à induire une activité immunitaire capable d’éliminer les cellules infectées par le VHB (vaccinothérapie, anticorps neutralisants). La vaccinothérapie a déjà fait preuve de son efficacité expérimentalement chez la souris.

Une situation préoccupante en Afrique
Le Pr Roger Sombié (centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, Burkina Faso) a souligné qu’en Afrique, la réalité du terrain des hépatites B représente une menace plus forte que le VIH. Une situation qualifiée de « dramatique » par le Pr Marcellin dans la mesure où moins d’1 % de la population est traitée.
À la différence du VIH, le financement est très insuffisant pour les programmes nationaux de lutte contre les hépatites. Le coût élevé des test diagnostiques – de 100 à 200 euros – est lui aussi dissuasif. Le manque d’observance et des ruptures de stock itératives compliquent encore la donne. « Si l’on ne continue pas le traitement, on peut avoir une rechute sévère, voire mortelle ; c’est presque pire de ne donner que quelques mois de traitement », a expliqué le Pr Marcellin, qui pointe les multiples problèmes d’organisation.
C’est le cas du dépistage, qui est loin d’être systématique chez la femme enceinte. De plus, le vaccin du nouveau-né est souvent trop tardif en cas de contamination mère-enfant qui est la première cause de contamination au Burkina Faso : « il faut faire la vaccination dans les 24 heures, sinon c’est trop tard » a rappelé le Pr Marcellin.

Quand l'hépatite D s'en mêle
Dans certains cas, l’hépatite D peut compliquer la prise en charge d’une hépatite B. À l’origine de cette double peine, un petit virus à ARN, le VHD, qui ne peut pas vivre sans le virus de l’hépatite B. La transmission peut être simultanée ou peut survenir chez un patient déjà infecté de façon chronique par le VHB. Le VHD expose à un risque accru de développer une cirrhose et à une surmortalité.
En Europe, elle concerne essentiellement des utilisateurs de drogues intraveineuses, et représente environ « 5 % des hépatites B », note le Pr Tarik Asselah (hôpital Beaujon, Clichy). Elle atteint 20 % des patients plus graves atteints de cirrhose ou de cancer du foie. « La prévalence augmente et la présence du virus D n’est pas assez screenée » note le spécialiste. Il y a une hétérogénéité géographique avec une forte prévalence au Pakistan et en Mongolie et plus généralement en Asie.
Le traitement standard repose sur 48 semaines d’interféron. De nouveaux traitements arrivent, comme le bulevirtide, commercialisé sous le nom d’Hepcludex®, approuvé en 2020 du fait d’un effet antiviral puissant et synergique avec l’interféron, et le lonafarnib, qui agit sur l’assemblage du virus via l’inhibition de la prénylation. L’interféron lambda, plus ciblé que l’interféron alpha, est lui aussi à l’essai.