En votant à 33,15 % pour le Rassemblement national (RN) au premier tour des élections législatives, les Français veulent-ils exprimer leur « sentiment d’abandon » en matière de santé ? La réponse est oui selon un sondage BVA mené auprès de 800 Français et présenté ce matin lors des Contrepoints de la santé. De fait, près d’un Français sur trois (29 %) ont motivé leur vote pour le parti de Marine Le Pen par les difficultés liées à la santé, en troisième position derrière le pouvoir d’achat (59 %) et l’immigration (32 %).
« Les citoyens expriment là un sentiment d’abandon. Il s’agit d’un vote de sanction de la politique de santé d’Emmanuel Macron », analyse Karine Bréhaux, enseignante à Sciences Po. Sans surprise, les inégalités d’accès aux soins cristallisent les craintes. « Au lieu de rassembler sur cette question, les partis politiques ont instrumentalisé les peurs et soufflé sur les braises », analyse Odile Peixoto, directrice BVA santé. Pour preuve, les solutions proposées dans les programmes politiques « très parcellaires » ne font que « fracturer » la société. C’est le cas de la suppression de l’aide médicale d’État (AME), l’un des marqueurs du programme du RN. Or cette suppression qui risque d’entraîner un effet délétère pour la santé publique a mobilisé bon nombre de soignants à plusieurs reprises.
Corporatisme médical
Mais les politiques sont-ils les seuls responsables de la situation ? Pour la Dr Rachel Bocher, présidente du syndicat de praticiens hospitaliers INPH, la nomination de sept ministres de la santé en sept ans traduit clairement « l’impuissance des pouvoirs publics et le sentiment d’abandon du secteur ». Au-delà des politiques, la question de la responsabilité des médecins est revenue sur le tapis. Coordination, partage des tâches, transfert de compétences… Le corporatisme médical n’a-t-il pas freiné certaines évolutions nécessaires pour l’accès aux soins ?
Présent à la table de ronde, Guillaume Bailly, président de l’Isni (syndicat des internes) n’a pas nié « les levées de boucliers » de médecins contre des mesures comme la collaboration avec les infirmiers en pratique avancée (IPA) ou la délivrance directe d’antibiotiques des pharmaciens. « On n’a pas su accueillir ces nouvelles pratiques », a reconnu le futur cardiologue. Mais l’interne s’est aussi défendu contre « les sorties de politiques qui visent à attaquer les médecins sur une sorte de corporatisme médical ». « Au bout de dix études de médecine, un médecin est en mesure d’avoir une considération de sa vie professionnelle, ce qui ne va pas à l’encontre d’une certaine forme de responsabilité qui est de travailler avec les autres professionnels de santé », a-t-il indiqué.
Pour surmonter ces divisions, le Dr Emmanuel Rusch, ancien président de la Société française de santé publique (SFSP) prône le dialogue local entre tous les acteurs (patients, élus, soignants) au sein notamment de la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA), instance consultative qui formule des propositions en fonction des besoins de santé en région. « Nous devons collectivement trouver des réponses au droit à l’accès aux soins de la population », dit-il. Cela pourrait passer par un ensemble de dispositifs, y compris des mesures plus directives sur la régulation à l’installation. Jusqu’à présent, les gouvernements successifs ont écarté cette solution, malgré les appels récurrents d’élus locaux et d’associations de patients.
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