Contrôle renforcé des IJ : les syndicats crient au « flicage statistique » sur les prescriptions, la Cnam assume sa campagne et s'explique

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Publié le 15/06/2023
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Crédit photo : S.Toubon

« Le comportement de la Cnam est proprement scandaleux. Les médecins généralistes sont assimilés à des fraudeurs », déclare ce jeudi au « Quotidien » le Dr Luc Duquesnel. Le président des Généralistes-CSMF ne cache pas sa colère depuis le durcissement de la stratégie de l'Assurance-maladie pour maîtriser les dépenses d’arrêts de travail.

Cette nouvelle campagne, qui cible les gros prescripteurs, s'inscrit dans le cadre d'une « évolution très forte des indemnités journalières (hors IJ Covid) actuellement constatée », précise la Cnam au « Quotidien ». Selon la Cour des comptes, en 2022, l’augmentation des IJ d’arrêt de travail hors Covid s'élève à 8,1 %, peut-on lire dans son dernier rapport annuel. La campagne de contrôle s'intègre aussi dans le plan contre la fraude sociale annoncé fin mai par le gouvernement.

1 000 médecins ciblés, 5 000 contactés, 15 000 sous surveillance…  

Pour enrayer les dérives et les abus, les caisses primaires ont été chargées de contacter « 5 000 généralistes qui ont des taux de prescription d'arrêt de travail plus importants que la moyenne », affirme le Dr Duquesnel. Et « pour près de 1 000 autres généralistes, des procédures sont entamées pouvant aboutir à des mises sous objectifs (MSO), peste le généraliste mayennais. Après avoir amené à l'échec des négociations conventionnelles qui est dramatique pour les généralistes, la Cnam les stigmatise de nouveau ».

Selon MG France, « les lettres de menace de mise sous objectifs de prescriptions d’IJ commencent à pleuvoir sur les médecins généralistes ». Le syndicat a fait ses calculs : un millier de « forts prescripteurs » sont ciblés en priorité, 5 000 MG traitants seront « convoqués » à des entretiens confraternels et…15 000 recevront au moins une visite de délégués de l’assurance maladie pour les avertir d’une pratique excessive. « Près d’un tiers des MG traitants ciblés, cela fait beaucoup », soupire MG France.  

2 % des généralistes visés 

Contactée par « Le Quotidien », la Cnam confirme le chiffre « 1 000 généralistes retenus pour une potentielle mise sous objectif de leurs prescriptions d’arrêts de travail, soit près de 2 % des médecins généralistes ». Mais la caisse précise que, pour cette campagne, elle a ciblé les médecins « en fonction du volume de leurs prescriptions d’indemnités journalières par patient actif » (en âge de travailler), « le critère d’un volume important d’IJ prescrites n’étant pas retenu afin de ne pas pénaliser les médecins ayant une forte patientèle ». Plus précisément, nous détaille la Cnam ce jeudi après-midi, ont été sélectionnés les médecins prescrivant « au moins deux fois plus d’arrêts de travail par patient actif » en tenant compte de la structure de leur patientèle (comparaison avec leurs confrères de la même région à patientèle et zone d’exercice comparable avec standardisation des patientèles selon l’ALD, le sexe et l’âge et prise en compte de l’indice de défavorisation du territoire). L'équité serait donc respectée. 

Selon les syndicats, l'autre nouveauté de cette campagne de contrôle serait que la procédure d'entretien d'alerte préalable a été supprimée, l'Assurance-maladie assumant d'agir plus rapidement sur les dépenses en lançant directement les procédures de mise sous objectif. Une MSO qui, en cas de refus ou d'échec, peut aboutir à une mise sous accord préalable (MSAP) des prescriptions… Mais la caisse se défend d'avoir supprimé cette phase contradictoire. « Sur la procédure, il est très important de noter que les médecins ont un temps d’échange avec l’Assurance-Maladie au cours duquel ils pourront faire valoir leur arguments sur leur niveau de prescriptions en matière d’arrêts de travail », affirme la Cnam. Les mises sous objectifs seront effectives à compter du 1er septembre prochain.

Bataille de critères

Déjà remontée contre la PPL Valletoux, la profession dénonce ce nouveau coup de pression psychologique sur les généralistes. Le Dr Marcel Garrigou-Grandchamp, responsable de la cellule juridique de la FMF, fustige le ciblage de la Cnam avec des « critères biaisés », oubliant par exemple le taux de patients bénéficiaires de la C2S ou la gravité de la patientèle « qui jouent sur les prescriptions ».

MG France déplore « un flicage statistique » et même un « management toxique ». Le syndicat de généralistes indique que la caisse primaire « prend en compte une moyenne qui peut cacher des hétérogénéités majeures. Par exemple, vous pouvez être installé tout près de la gare et avoir une énorme file active de patients jeunes en activité. Ou bien être installé près d'une grosse usine de main-d’œuvre et avoir une file active énorme de patients victimes de TMS ».

Et la CSMF, pas en reste, appelle l'Assurance-maladie à respecter les droits de la défense. « Adieu l'écoute, vive la sanction », ironise le Dr Franck Devulder, patron de la centrale, qui évoque la « maltraitance » des médecins libéraux. 

Refuser la procédure MSO ?

Face à cette « chasse aux délits statistiques », tous les syndicats appellent les praticiens ciblés à refuser systématiquement la mise sous objectif, qui revient selon eux à reconnaître déjà des prescriptions abusives d'arrêt de travail. « Les médecins ciblés doivent recevoir un appel de la part de leur Cpam pour les prévenir de l'envoi d'une lettre recommandée de mise sous objectif et qu'ils disposent d'un délai de quinze jours pour refuser », rappelle le Dr Garrigou-Grandchamp. Selon le généraliste lyonnais, « 30 médecins ont déjà refusé cette procédure. Les confrères sont exaspérés. Ce n'est qu'un début ».


Source : lequotidiendumedecin.fr