Ces médecins qui exercent dans les déserts

Dr Jean-Michel Gal, le pionnier qui prêche dans le désert médical... et qui y roule

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Publié le 14/08/2023
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En France, les déserts médicaux grignotent du terrain. Et les prévisions sur la démographie médicale ne laissent pas présager d’amélioration dans les prochains mois. Pour « Le Quotidien », des médecins partagent leur quotidien et leurs solutions. Aujourd'hui, le Dr Le Gal, père des Médicobus.

Crédit photo : DR

Ce matin-là aurait pu être son jour de gloire. La Première ministre vient d’annoncer la mesure phare du plan transruralité pour lutter contre les déserts médicaux : cent Médicobus vont être déployés dans les territoires. Le Médicobus, c’est l’invention du Dr Jean-Michel Gal, généraliste à Mortagne-au-Perche (Orne), qui, à l’instigation du Dr Antoine Leveneur, président de l’Union régionale médecins libéraux (URML) normande et de la conférence nationale des URPS, expérimente la formule depuis 2020 : des jeunes retraités qui consultent dans les villages sans médecins. Mais le Dr Gal, modeste, commente l’annonce d’Élisabeth Borne d’un simple : « Oui, c’est une reconnaissance de notre initiative… »

Le généraliste n’en est pas surpris. En visite au mois de mai, alors ministre de la Santé, François Braun était venu voir. « Ne partez pas, lui avait-il lancé, on veut faire une photo avec votre Medicobus. » Ça roule en effet pour lui depuis trois ans : malgré les quelques râleurs qui ont d’abord crié à la captation de clientèle, une dizaine de jeunes retraités avec deux assistantes médicales et, à la régulation, la cellule de coordination de la CPTS, prennent en charge les soins non programmés de 20 % des assurés sociaux sans médecin traitant dans le territoire. 5 000 actes en 2022, 9 000 en 2023, avec une traçabilité à la clé. De la Lozère à la région parisienne, les élus et les médecins des déserts appellent le Dr Gal pour avoir des détails. L’Eure copie l’Orne en 2023. Même des jeunes commencent à prendre des vacations.

Parmi les soutiens (ARS, URML, Ordre, CPAM, région, département), le président de la communauté de communes mortagnaise, Jean-Claude Lenoir, se félicite du succès d’une consultation mobile qui n’aurait pas été possible, explique-t-il, sans être adossée au pôle santé créé en 2008 par… le Dr Gal. Et aujourd’hui fort de 70 praticiens, généralistes, spécialistes, dentistes. « Je n’imaginais pas que le monde allait attirer le monde à un tel point », confie l’intéressé. « Un militant, un missionnaire, qui ne compte pas les réunions et met partout du lien », constate M. Lenoir. « Un vrai médecin de famille qui n’a pas peur de mouiller la chemise dans un territoire en grande tension », confirme le Dr Leveneur.

Sans SAMU, sans SMUR et sans répit.

Qu’il semble loin, le temps des débuts où le fils de paysan percheron, frais moulu des facultés de Paris et de Tours, s’est installé ici en 1981. « C’était une médecine sans SAMU, sans SMUR et sans répit. Il fallait tout faire tout seul. Je me souviens des petits matins d’hiver où la mère Machin allumait sa lumière à 5 heures 30 au bout d’un chemin de ferme pour m’accueillir. Un week-end sur six, une nuit par semaine, des visites que je reprenais à 21 heures jusqu’à minuit. Il y avait du monde partout à voir. »

Puis le temps du désert est venu. Et avec lui, la nécessité d’inventer. Être pionnier : la première garde territorialisée, la première régulation via le SAMU, la première CPTS, l’APPSUM 61 (association des praticiens pour la PDS et les urgences). La commission opérationnelle des pôles de santé. En prime, depuis 2006, la présidence de l’Ordre dans le 61, celles de la CSOS (commission spécialisée de l’organisation des soins) et de la DAC (dispositif d’appui à la coordination) pour favoriser le maintien à domicile, avec 30 salariés. « Heureusement que pour piloter tout ça, je peux m’appuyer sur mon assistante ! », se rassure le Dr Gal.

« Souvent, les interlocuteurs se sont moqués des projets, parfois ils ont fait de la résistance, des guerres de clochers éclataient. Tout ça n’empêche pas le Médicobus de rouler et de faire maintenant des émules ». Mais l’horizon du désert préoccupe le Dr Gal : « Jamais autant de besoins de médecins, jamais aussi peu de médecins et tant d’organismes et de gens qui ne sont là que pour faire du fric. » Les courbes de la démographie médicale plongent. Alors, entre ses patients, ses réunions, ses voyages pour aller voir sa famille aux États-Unis, Jean-Michel Gal trouve encore le temps de faire du bateau, de jouer du piano et du saxo. Et de s’initier à l’art du vitrail. « C’est formidable, le travail du verre et de la lumière. Vous ne pensez plus à rien… »

Christian Delahaye

Source : lequotidiendumedecin.fr