Les centres de santé en déficit structurel : l'étude qui révèle pourquoi leur modèle économique est intenable

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Publié le 11/12/2023

Crédit photo : PHANIE

Après huit mois de travaux, c’est une étude d’ampleur sur le modèle économique des centres de santé qui est désormais entre les mains des organismes gestionnaires fédérés au sein de leur regroupement national (RNOGS*). Cette enquête de 150 pages, réalisée par le cabinet de conseil ACE Santé, révèle que « plus des trois quarts des centres » analysés présentent un « déséquilibre d'exploitation » et préconise une évolution de leur modèle de financement, intrinsèquement fragile.

Des subventions pour atténuer le déficit 

Pour identifier l'origine des faiblesses du modèle économique des centres de santé (c'est-à-dire ce qui relève de leur financement, des pratiques de gestion ou de l'héritage des anciens dispensaires), les enquêteurs ont disséqué le bilan 2022 (financier/activité/ressources) de 31 centres de catégorie différente : 15 centres polymédicaux, huit centres polyvalents, (activité de médecine générale et dentaire) et huit centres de soins infirmiers. Objectif : être « transparent et outillé » sur la question de l'évolution de leur modèle économique avant l'ouverture de futures négociations. 

Le bilan financier, sombre, est sans appel. Sur ces 31 centres, ils ne sont que sept à présenter un résultat excédentaire. Plus « de trois-quarts des centres analysés présentent un déficit d’exploitation entre 0 et 20 % » – que les fonds soient d’origine privée, publique ou mixte. « Les indicateurs financiers montrent ainsi des situations financières dégradées, en partie atténuées par des subventions ad hoc », peut-on lire en synthèse.

Des charges de personnel qui pèsent sur la viabilité économique

De fait, le rapport entre charges directes et chiffre d'affaires apparaît « déjà déséquilibré quelles que soient les activités, pour absorber en addition les charges indirectes et de structure, questionnant le niveau de ressource/rémunération des professionnels de santé au regard de l'activité produite ». Par exemple, les produits (recettes) des centres générés à 80 % par les actes (médicaux, dentaires, etc.) sont quasi intégralement absorbés par les dépenses de personnel… Un cercle vicieux qui s’observe quelle que soit la taille de la structure. Pire, plus les centres augmentent leur périmètre d'activité, plus ils intègrent dans leur compte de résultat des charges directes (consommables) et indirectes liées à la structure ou aux outils de gestion d'un collectif ou de missions plus étendus.  

Même si, souligne l'étude, les centres de santé « ne s’exonèrent pas de leur responsabilité de gestionnaire », la conclusion du rapport est claire. « Le mode de financement ne concourt pas à l’équilibre économique et encore moins à la capacité de développement des centres de santé », peut-on lire.

Déficit structurel, même si la gestion est optimale

De quoi apporter de l'eau au moulin de ceux qui réclament de longue date un changement de modèle de financement. « On nous pointe régulièrement du doigt parce que nous serions de mauvais gestionnaires, développe la Dr Hélène Colombani, présidente de la Fédération nationale des centres de santé (FNCS). Mais en réalité, on n’a jamais réfléchi à un modèle économique adapté à ce que nous sommes ! Nos déficits sont d’ordre structurel et dus au fait qu'on a calé le modèle économique des centres de santé sur une rémunération à l’acte individuel ». 

La généraliste de Nanterre en veut pour preuve que, même avec une gestion « optimale » des activités, ces structures ne pourraient pas parvenir à l’équilibre avec leur modèle de financement actuel, et encore moins générer un excédent (hormis les centres infirmiers)

Financement à l'acte inadapté

La question du coût de la dispense d'avance de frais pour les centres de santé, mais aussi du profil de la patientèle suivie, est clairement posée. « Nous sommes les seules structures à pratiquer le tiers payant systématique et nous accueillons une population bien plus vulnérable que celles habituellement suivies par les professionnels de libéraux, insiste la Dr Colombiani. Cela génère automatiquement des coûts et un temps très important consacré à la paperasse pour lesquels la rémunération à l’acte n’est pas adaptée ». L'étude pointe ainsi trois « missions » des centres (tiers payant, horaires étendus et populations vulnérables) qui sont « insuffisamment valorisées » dans le décompte de l'accord national actuel. 

Pour garantir un financement pérenne aux 3 144 centres de santé recensés, la cheffe de file de la FNCS plaide pour une dotation spécifique sur le modèle des missions d’intérêt général à l'hôpital (Migac). À charge pour les agences régionales de santé (ARS) de ventiler cette dotation dans les territoires en fonction des populations suivies et des actions de prévention menées. « Nous avons des similitudes avec l’hôpital mais nous ne sommes pas des établissements hospitaliers et nous avons toujours pâti de cet entre-deux », résume la Dr Colombani. 

Cette étude tombe à point nommé pour tenter de valoriser le service rendu et les missions des centres, en rupture avec le financement à l'acte. Agnès Firmin Le Bodo a promis un plan pour les centres de santé au premier trimestre 2024 après avoir reçu un rapport ad hoc de l’Igas. C'est aussi l'an prochain que les structures représentatives doivent préparer les négociations autour de la nouvelle convention des centres de santé de 2025. L'occasion de rebattre les cartes ?

* Regroupement national des organisations gestionnaires de centres de santé


Source : lequotidiendumedecin.fr