Dérapages exceptionnels, dette perpétuelle, assurance-maladie qui lève le pied sur les économies : la crise du coronavirus a tout changé pour la Sécurité sociale. Et c'est ce moment que choisit le gouvernement pour créer une branche autonomie !
Pour la Sécu, plus rien ne sera comme avant. L'exercice 2020, qui aurait pu signer le retour à l'équilibre des comptes sociaux, restera historique à d'autres titres, sans que l'on sache jusqu'où porteront les secousses de la crise sanitaire et économique.
C'est d'abord l'ampleur inégalée du choc financier qui marque les esprits. En 2020, le trou de la Sécu (régime général + fonds de solidarité vieillesse – FSV) se creusera à 52 milliards d’euros, du jamais vu même au plus fort de la crise financière (28 milliards). Des chiffres « qui donnent le tournis », a résumé Gérald Darmanin.
Effet ciseaux
Le passif de la seule branche maladie dépassera les 31 milliards d’euros cette année (contre 1,5 milliard un an plus tôt). Cette mauvaise fortune s'explique à la fois par les pertes massives de recettes (report et suppression des cotisations sociales, chômage partiel) et les dépenses exceptionnelles durant l'épidémie. La facture pour l’achat de masques (4,5 milliards d'euros), les mesures ciblées pour les établissements (matériel, primes, heures sup', à hauteur de 3,8 milliards), les arrêts maladie (2 milliards) ou les tests… dépassera les 12 milliards d'euros – une première ardoise loin d'être compensée par la baisse de 4 milliards des dépenses de soins de ville.
Dans ce contexte, le dérapage des dépenses maladie dans le périmètre de l'ONDAM sera spectaculaire, la progression anticipée passant de 2,45 % à 6,5 % en 2020, taux jamais atteint depuis la décennie 2000. Encore ne s'agit-il que d'estimations provisoires puisque le gouvernement s'apprête à revaloriser de façon « significative » les salaires des soignants. Plusieurs milliards d'euros sont en jeu pour 2020 et 2021.
L'assurance-maladie, qui assume son rôle d'amortisseur social (lire ci-dessous), est certes la plus affectée par la crise, mais les trois autres branches du régime général s'enfoncent également dans le rouge : -14,9 milliards d'euros pour la retraite, -3,1 milliards pour la famille, -700 millions d'euros pour Ie risque AT/MP.
Tyauterie
La conséquence immédiate est actée : le transfert massif à la CADES des déficits de la Sécu passés, en cours et à venir. Un nouvel « héritage » de 136 milliards qui repousse aux calendes grecques – fin 2033 au mieux – l'apurement de cette dette sociale dont les Français espéraient l'extinction en 2023 (et avec elle la fin de la CRDS qui ponctionne de 0,5 % tous les revenus et prestations).
Déjà, des voix s'élèvent pour refuser une tuyauterie qui transfère un peu rapidement les pertes abyssales aux générations futures via les taxes sociales (CRDS, CSG). La Sécu doit-elle supporter la totalité de la dette Covid ? L'Etat ne peut-il pas prendre sa part ? D'autres types d'emprunts ne sont-ils pas justifiés ? La semaine dernière, les sénateurs ont rejeté en commission le transfert à la CADES de la reprise de dette hospitalière (soit 13 milliards), au motif que la Sécu n'a pas à financer l'immobilier... Ils ont aussi voté la création d'une « règle d'or », le principe étant d'imposer un solde positif sur cinq ans pour l'ensemble des régimes obligatoires. « Chaque génération doit financer ses propres dépenses de protection sociale, a recadré Jean-Marie Vanlerenberghe (UC, Pas-de-Calais). La dette sociale n’est pas une dette perpétuelle. »
C'est dans ce contexte troublé que le gouvernement a décidé la création d'une cinquième branche consacrée à la perte d'autonomie (lire ci-contre). Le défi, là aussi colossal, sera d'identifier de nouvelles recettes à mobiliser dès 2021. À partir de 2024, l'exécutif a déjà annoncé qu'une partie des besoins seraient couverts par la réaffectation d'une fraction de CSG. Les lignes de la Sécu n'ont pas fini de bouger.