Agnès Buzyn : « Ma décision relève du pragmatisme »

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Publié le 26/10/2017
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Agnes Buzyn

Agnes Buzyn
Crédit photo : S. Toubon

LE QUOTIDIEN : La loi de santé prévoit que le tiers payant deviendra un droit pour tous les patients à compter du 30 novembre 2017. Pour l’IGAS, le maintien de cette date est irréaliste. Quelle est votre décision politique ?

AGNÈS BUZYN : Le rapport de l’IGAS conclut que l’échéance du 30 novembre 2017 n’est pas réaliste. Il ne sera pas possible de réaliser le tiers payant au 30 novembre car c'est techniquement infaisable ! Ma décision relève donc du pragmatisme. Aujourd'hui, la pratique du tiers payant gérée uniquement par l'assurance-maladie obligatoire – part AMO – fonctionne bien pour les populations CMU-C, ACS, ALD, femmes enceintes, prises en charge à 100 % par la Sécurité sociale. Il est hors de question d'y toucher.

Au-delà, pour d'autres personnes, qui ont une complémentaire santé mais ont du mal à faire l'avance de frais, l’absence de tiers payant constitue un frein à l’accès aux soins. Il faut absolument que ces personnes puissent y accéder à travers le tiers payant « généralisable », engagement du chef de l'État. Nous allons maintenant travailler avec l’ensemble des acteurs sur ces deux points majeurs : la faisabilité technique du système et l’identification des populations qui ont réellement besoin d’un tiers payant pour accéder aux soins. 

Mais envisagez-vous une loi rectificative pour supprimer le tiers payant généralisé obligatoire au 30 novembre ? Y aura-t-il un amendement en ce sens au projet de loi de financement de la Sécurité sociale ?

Nous verrons quel sera le véhicule législatif le plus approprié pour aboutir à la promesse du président de la République d'un tiers payant généralisable, en lieu et place des dispositions actuelles. 

Concrètement, à partir de décembre, que se passera-t-il pour un médecin qui refusera le tiers payant à un patient, en dehors des situations déjà obligatoires prévues par la loi ?

La réalité est déjà, aujourd’hui, que personne ne peut accéder réellement à ce nouveau droit qui ne comporte aucune sanction. Aucun médecin ne prend de risque particulier, d’une part, le tiers payant n’est pas faisable et, d’autre part, il ne comporte pas de sanction. Je vous rappelle en revanche que tout médecin est tenu de pratiquer le tiers payant pour les populations qui en bénéficient déjà dans la loi, c’est-à-dire les patients en CMU-C, ACS, femmes enceintes et ALD. Il faut continuer et même tendre vers son application effective partout.

L’IGAS estime que la généralisation est un objectif techniquement réalisable pour la part AMO « à brève échéance », fin 2018, sous réserve d'un accompagnement renforcé des professionnels de santé. Quel est votre calendrier ?

La concertation va commencer. Mon souhait est d’accompagner les professionnels de santé pour qu'ils s’emparent des outils techniques. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation complexe et d'urgence. Nous avons deux impératifs : être certains que personne ne renoncera aux soins mais aussi que le dispositif sera techniquement applicable et sécurisé. Nous devons aller vite pour résoudre ces problèmes.

La généralisation du tiers payant sur la partie Sécu semble être atteignable rapidement. L'IGAS propose fin 2018, sous réserve d'un accompagnement renforcé. Ce n'est pas le cas pour la partie complémentaire. C’est surtout sur ce point que le système est trop complexe et ne fonctionne pas. 

Le tiers payant intégral est-il toujours votre objectif politique ? Est-ce atteignable à la fin du quinquennat ?

Oui. Mais c’est un tiers payant intégral généralisable, c’est-à-dire faisable techniquement et accessible aux professionnels de santé et aux patients qui le souhaitent. Je suis fidèle à ma ligne de conduite. Je ne peux pas demander aux médecins de donner davantage de temps médical pour lutter contre les déserts médicaux tout en leur imposant de la paperasserie supplémentaire. 

Les incitations financières au tiers payant pour les médecins, préconisées par l’IGAS, sont-elles une solution ?

Cela fera partie de la concertation. L’urgence, je le redis, est de rendre le tiers payant techniquement faisable. Après, nous verrons comment les médecins s’emparent des outils. Sur le nouveau calendrier, permettez-moi d’être prudente aujourd’hui. Je regrette que la loi de santé ait été promulguée avant d'avoir eu la certitude que le tiers payant généralisé soit atteignable en temps et en heure.

Pour relancer le chantier du tiers payant complémentaire, allez-vous nommer une personnalité qualifiée, comme le suggère l'IGAS ?

Non. Nous travaillons déjà sur les modalités de la concertation et la méthode de travail.

 

Propos recueillis par Loan Tranthimy Il ne sera pas possible de réaliser le tiers payant au 30 novembre car c'est techniquement infaisable ! La concertation va commencer. Mon souhait est d’accompagner les professionnels de santé

Source : Le Quotidien du médecin: 9613