Un jeune, une spécialité

Anaïs Sahy : la médecine légale sans égale

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Publié le 10/03/2023
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Loin des clichés véhiculés par les séries télévisées, Anaïs Sahy exerce la médecine légale au CHU de Clermont-Ferrand. Une spécialité qui a pour elle tout d’une vocation, mais dont elle ne nie pas les difficultés… qui ne sont d’ailleurs pas forcément là où on les attend.

Anaïs Sahy

Il n’est pas rare, quand on est adolescent, de vouloir faire médecine avec en tête une spécialité bien précise. Il est beaucoup plus rare qu’une fois arrivé au bout de sa formation, le lycéen devenu praticien exerce exactement la discipline imaginée durant ses tendres années. C’est pourtant ce qui est arrivé à Anaïs Sahy : cette Ardéchoise d’origine a toujours voulu exercer la médecine légale, et c’est aujourd'hui ce qu’elle fait en tant que PH au CHU de Clermont-Ferrand. Ce qui ne veut pas dire qu’entre-temps, son regard sur cette profession pas tout à fait comme les autres n’a pas été transformé.

« Quand j’étais au lycée, bien sûr, je n’avais entendu parler que de la partie thanatologie, qui est celle qu’on voit à la télévision, et pas du tout de la victimologie, qui est l’autre grand versant de la médecine légale », se souvient-elle. La thanatologie, rappelle-t-elle, consiste à répondre aux demandes de la justice en cas de mort suspecte, alors que la victimologie constate et évalue les blessures reçues par les personnes qui ont déposé plainte. Aujourd'hui, le service où elle exerce, qui compte deux PH à temps plein et quatre PH à temps partiel, effectue environ 300 autopsies et reçoit entre 1 800 et 1 900 victimes par an, indique Anaïs. Celle-ci a donc eu le temps d’affûter son regard sur son métier, ce qui n’est pas allé sans détruire au passage quelques clichés.

Les morts et les vivants

« Quand on dit qu’on fait de la médecine légale, les gens vous disent souvent que cela doit être terrible d’être au contact de la mort de manière si rapprochée, raconte-t-elle. Mais ce qui est terrible, ce ne sont pas les morts, ce sont les vivants. On est beaucoup plus fatigué après une journée passée à recevoir des personnes qui ont été agressées, violées, qui vivent depuis vingt ans avec des conjoints violents, qu’après une journée en salle d’autopsie, même si on a été confronté à deux ou trois cadavres. » Cependant, ajoute-t-elle aussitôt, les deux versants de sa spécialité lui semblent aussi passionnants l’un que l’autre.

« En thanatologie, pour quelqu'un qui s’intéresse à l’anatomie, au fonctionnement du corps humain, on trouve des choses incroyables, s’enthousiasme-t-elle. Aucune autopsie ne ressemble à une autre, et cela alimente beaucoup ma curiosité. » Quant à la victimologie, bien qu’elle ait quelque chose d’éprouvant, elle est aussi particulièrement gratifiante. « Je suis très admirative de la résilience qu’on constate chez certaines personnes, et je suis satisfaite quand je les vois repartir avec quelque chose qui leur donne du courage pour la suite, quand ils ont l’impression que leur souffrance a été prise en compte et qu’on va faire quelque chose pour eux, détaille la légiste. Quand par exemple on dit à une personne victime de violence chronique que c’est normal de se sentir mal, que c’est elle la victime, qu’elle n’est pas folle, ce sont des mots assez importants. »

Double exercice

Reste que malgré son enthousiasme, la Clermontoise garde la tête sur les épaules. « C’est une spécialité où le nombre de postes ne s’adapte pas bien au besoin réel, et où il est donc très difficile de trouver des postes de médecin légiste à temps plein », constate-t-elle. C’est d’ailleurs ce qui l’a conduite, en parallèle de son poste au CHU, à exercer en tant que généraliste (son DES d’origine) en médecine carcérale, au centre pénitentiaire de Riom. « C’est un exercice très enrichissant, les personnes incarcérées sont bien souvent, elles aussi, des victimes de violences que l’on doit dépister, il faut travailler sur la prévention, la réinsertion…, énumère-t-elle. Je ne me serais pas vue exercer la médecine générale à temps plein, et surtout pas en libéral, mais en prison, c’est un exercice qui me convient. » Reste que sa vraie vocation demeure la médecine légale. « C’est vrai qu’à terme, même si c’est un horizon assez lointain, j’espère basculer sur un temps plein en médecine légale, qui est la partie où je me sens le plus à l’aise », confie-t-elle.

D’ailleurs, deux ans après la fin de son clinicat, la légiste a quelques conseils à prodiguer à de jeunes externes qui envisageraient de choisir sa spécialité. « Je crois que c’est une spécialité qu’il ne faut prendre que si l’on sent qu’on a une vraie vocation pour cela, estime-t-elle. Si on se retrouve là par hasard, ou par défaut, cela risque d’être un peu compliqué. » Par ailleurs, ajoute-t-elle, les récentes réformes qui ont fait de la médecine légale une spécialité à part entière peuvent paradoxalement compliquer la vie de certains jeunes légistes : contrairement à Anaïs, qui est également généraliste et a donc une certaine flexibilité, ils peuvent être amenés à faire des concessions, et notamment à changer de ville, pour obtenir un poste à temps plein. Voilà une spécialité dans laquelle le mot « vocation » signifie vraiment quelque chose !

Adrien Renaud

Source : Le Quotidien du médecin