Clair-obscur

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Publié le 09/06/2016
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KOUCHNER

KOUCHNER
Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Que sera la médecine dans 20 ans ? Que sera la presse ? Pour la médecine, autant de spécialistes interrogés, autant de réponses. Place à l’humain place à la médecine connectée, place aux « big data » qui feront des médecins des auxiliaires médicaux, simples exécutants de décisions prises sans eux… obligés d’exécuter les consignes d’un Big Brother branché sur des milliards de « data »…Y aura-t-il encore des généralistes libéraux ? Oui, non, ne sait pas… Les réponses de nos interviewés témoignent à la fois de leurs espoirs et des directions que semble à court terme prendre la médecine. Ainsi en cancérologie, après l’espoir placé dans les monoclonaux surgit ou plutôt revient l’immunothérapie dont Georges Mathé disait il y a quelques dizaines d’années qu’elle serait LA solution au problème du cancer…

Aussi, plutôt que d’essayer de dire ce que sera la médecine de demain, regardons ce que nous voyons dans la médecine du présent, le présent étant par définition l’avenir du passé…

Les progrès thérapeutiques fantastiques rencontrés dans presque tous les domaines de la médecine ne sont pas discutables, de sorte que nous pourrions nous attendre à un niveau toujours plus élevé de foi en la science et pourtant c’est le contraire que nous constatons : jamais l’irrationnel n’a atteint de tels sommets. Refus ou contestations des vaccins, refus des antibiothérapies, négation des plus belles réussites méfiance vis-à-vis des experts, vis-à-vis des autorités de médecine, vis-à-vis des médecins même… L’existence de millions de réseaux de communication a certes permis quelques belles réussites mais on a surtout vu se développer des media hors de tout contrôle véhiculant les pires contre-vérités… Ainsi les attentats du 11 sepembre ou du Bataclan n’ont pas existé, ainsi les vaccins tuent et les autorités vous mentent… C’est ainsi : les faits n’entament pas la foi…

Faut-il en conclure que les progrès thérapeutiques génèrent cet obscurantisme ? À tout le moins faut-il tenir au public un langage de vérité, de transparence. Le progrès thérapeutique s’accompagne d’accidents qu’il ne faut pas cacher. Peut-être devrait-on revenir sur le « principe de précaution » qui freine la recherche ?

Et les patients dans tout cela ? Si une part croissante reste en dehors du progrès scientifique pour cause d’obscurantisme, une large majorité progresse avec les acquis scientifiques : réseaux sociaux, associations de patients aideront à accompagner ces progrès. Et les journaux direz-vous ? Y aura-t-il encore, demain, une presse médicale ? On peut s’interroger : il existe déjà des producteurs de contenus regroupés en entreprises énormes, qui dans toutes les langues peuvent fournir des contenus à des prix de revient n’ayant rien à voir avec les coûts d’une équipe de journalistes, sans compter qu’on évite l’indocilité propre à ce métier… !

Quant à la publicité, l’un des éléments de notre actuel business model, finies les annonces généralistes : nous nous dirigeons à grande vitesse vers la publicité ciblée ; chacun recevra des messages en accord avec ses goûts, ses demandes antérieures ou ce que l’on saura de lui… de ses zones d’intérêts. Je vous laisse rêver. Mais peut-être ne s’agit-il que d’un cauchemar…

Dr Gérard Kouchner

Source : Le Quotidien du médecin: 9503