Lorsqu’ils doivent consulter, Rita et Tony, arrivés de Beyrouth au début des années 2000, choisissent préférentiellement un médecin libanais. Pourquoi ? « parce qu’il nous comprend, parce que c’est mieux ». Rien de bien tangible…
Même son de cloche du côté de la communauté serbe de Paris qui a vécu une douloureuse perte avec le départ à la retraite du Dr Josif Kavaj : « on va voir un médecin français maintenant, mais ce n’est pas pareil. Par exemple, pour le Covid, on souhaite être vaccinés avec le Spoutnik V parce qu’on fait confiance au « grand frère russe », mais ça c’est dur à faire comprendre à un médecin qui ne connaît pas les liens entre nos deux pays », explique Katarina D, arrivée de Provo (ex-Yougoslavie) en France en 1975.
Pour Binta, originaire du Sénégal, la question de consulter en Peul ne se pose même pas. Comme l’explique sa fille qui l’accompagne depuis son enfance chez le médecin « ne pas avoir accès à un médecin français serait vécu par ma mère comme un refus de soins. Elle veut avoir les mêmes droits que les autres et pouvoir consulter n’importe quel médecin en fait partie… Même si pour cela elle doit être accompagnée par une personne qui assure la traduction ».
Lorsqu’on interroge l’ambassade de Pologne sur les médecins qui consultent en polonais en France, une liste de médecins de toutes spécialités est fournie et on est aussi orienté vers l’AMOPF (Association des Médecins d’Origine Polonaise en France) qui fait partie de la fédération des associations médicales polonaises à l’étranger.
Interrogée par le Quotidien, le Dr Maryse Zaleski-Zamenhof (petite fille du Dr Louis-Lazare Zamenhof, créateur de l’esperanto) explique : « je suis arrivée en France en 1973 pour rejoindre mon père et faire mes études. J’ai toujours continué à parler le polonais en famille et avec mes amis et j’ai été bercé dans un environnement polyglotte. Je parle moi-même 5 langues en plus de l’esperanto. Au début de mon installation, les patients polonais étaient rares. Mais aujourd’hui, ils représentent 80 % de ma patientèle et ils font parfois 1 h 30 de transport pour venir consulter 10 minutes à Boulogne-Billancourt ». Qui sont les patients du Dr Zaleski-Zamenhof ? « Des néo-arrivés qui ne parlent pas encore bien le français, mais aussi des personnes qui vivent en France depuis un certain temps mais qui trouvent auprès de moi une personne de confiance qui partage leur culture. Cette communauté culturelle slave est aussi mise en avant par mes patients russes, tchèques, ukrainiens, serbes… J’ai auprès d’eux un lien privilégié. Ils sont chaleureux, reconnaissants, je fais un peu partie de leur famille. Je retrouve cette médecine que j’ai connue lors de mes premières années d’installation ».
Exercer dans la langue de ses parents ? Des jeunes confrères réticents
Pour le Dr Pavlina F, médecin née en Bulgarie mais qui a rejoint la France dès ses années de lycée « la téléconsultation a facilité l’accès à la médecine de personnes venant de pays peu représentés dans la population française. Des bulgares de toute la France me contactent et je débrouille des histoires médicales parfois compliquées. Et ce d’autant plus que je ne maîtrise pas l’intégralité du langage médical en bulgare puisque je n’ai jamais étudié dans le pays. Je n’hésite pas à proposer à mes compatriotes de m’appeler lorsqu’ils sont chez un médecin et qu’il existe des problèmes de compréhension. Jusqu’à présent, personne n’a abusé de mon offre. Je me sens utile ».
Tous les médecins d’origine étrangère sont-ils aussi enclins à parler leur langue maternelle en consultation ? « Je ne parle arabe que quand l’interrogatoire est impossible, même en contactant un proche par téléphone », explique le Dr Mohamed M, urgentiste en fin de carrière dans un hôpital de l’ouest parisien. « Dans les années 1980, lorsque les portables étaient rares, j’ai souvent été appelé dans des services de l’hôpital pour faire des traductions. C’était pour mes confrères une solution de facilité, mais moi je me sentais rabaissé à « l’arabe de service », celui qui n’a pas fait ses études en France. Au bout de quelques années, j’ai dit que je ne parlais que le berbère afin de ne pas être ennuyé ».
Les jeunes médecins de deuxième ou troisième génération imaginent-ils consulter dans la langue de leurs parents ? Interrogés par « Le Quotidien », des internes en fin de cursus déclinent majoritairement la proposition : « mon niveau de langue est insuffisant pour pouvoir tenir une conversation médiale avec un patient », explique l’un ; « avec l’intégration actuelle, je ne crois pas qu’il existe une demande », ajoute un autre. Mais la question a aussi ouvert des portes à certains : « puisqu’il est possible de signaler les langues parlées sur les sites de prise de rendez-vous, pourquoi ne pas profiter de cet atout ? », estime l’un d’eux. Quant au fils du Dr Zaleski-Zamenhof qui est lui aussi médecin, il ne prendra pas la suite de sa mère car il ne parle pas le polonais…
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