De faux arrêts maladie à 20 euros disponibles en 15 minutes, les médecins face aux risques d’usurpation d’identité

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Publié le 18/03/2023

Crédit photo : Captures d'écran Snapchat

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il aurait pris de l’ampleur avec le développement des réseaux sociaux. De faux arrêts maladie se monnayent pour 15 à 20 euros sur Internet. Les (faux) malades peuvent se procurer par courrier électronique, en quelques minutes, ces certificats dûment tamponnés par un médecin, aux dates et pour une durée de leur choix.

L’enquête publiée il y a quelques jours par France Info lève le voile sur cette pratique. Ses journalistes ont échangé avec plusieurs vendeurs en se faisant passer pour des clients potentiels sur le réseau Snapchat où les annonces (parfois des arnaques) foisonnent.

L’Assurance-maladie reconnaît que le nombre de faux avis d’arrêt de travail recensés sur les réseaux sociaux a augmenté ces dernières années. Au total, le préjudice en 2021 a été évalué à 3,4 millions d’euros (en incluant toutes les fraudes : ajouts de jours sur les avis d’arrêts de travail, production de faux bulletins de salaire, fausse déclaration de revenus).

Vols de sacoche, de tampon…

Les médecins sont au cœur de ce trafic, bien malgré eux. Vols de formulaires et de tampon, contrefaçon de signature… Les faussaires usurpent l’identité des professionnels pour établir leurs faux documents, parfois en ayant recours à des logiciels de retouche d’image. France Info a interrogé l’un de ces généralistes, qui témoigne sous couvert d’anonymat. « Je suis tombé des nues (...) C'est quelque chose de très violent », raconte-t-il après qu’il eut découvert qu’une soixantaine de certificats avaient été établis à son nom, à son insu.

« Ça ne date pas d’aujourd’hui, reconnaît le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Des confrères qui se font voler leur sacoche, avec leur ordonnancier, parfois des ordonnances sécurisés, on en a vu très fréquemment. » Le généraliste, qui exerce en Mayenne, rappelle que les médecins victimes de ces vols doivent impérativement faire une déclaration à l’Ordre et à la gendarmerie.

Les bases de données sondées à la recherche d'arrêts « atypiques »

L’affaire révélée il y a quelques mois par « La gazette du Val d’Oise » est édifiante à ce niveau. En octobre 2022, un jeune homme de 22 ans avait été condamné pour avoir falsifié des arrêts de travail qu’il revendait sur Internet. Les forces de l'ordre avaient retrouvé au domicile de ses parents, où il vivait, de nombreux documents officiels, « documents Cerfa proposant divers arrêts maladie possibles, maternité ou accident du travail, maladie professionnelle, un bloc neuf de documents pour des prescriptions médicales de transport, ou encore un carton de fiches d’arrêts de travail ». Le faussaire avait usurpé l’identité de deux médecins.

Interrogée sur le sujet, la Cnam insiste sur la nécessité d’alerter également la Cpam dont le médecin dépend lorsqu’il est victime d’un vol de documents. La caisse sera ainsi en mesure de mener ses propres enquêtes. Ce processus a été mis en place depuis 2022, assure la Cnam, après avoir constaté l’augmentation des faux arrêts de travail sur Internet.

Des requêtes sont lancées sur les bases de données « afin de détecter des arrêts de travail qui paraissent atypiques car caractéristiques de ceux revendus sur les réseaux sociaux ». En cas d’anomalie, le médecin prescripteur est contacté pour authentifier les supposés faux arrêts de travail.

La dématérialisation progressive des ordonnances et des arrêts de travail pourrait enrayer ce phénomène. Quoique… « On a vu pendant l’épidémie de Covid qu’il était possible d’aller très loin dans la fraude informatique pour produire et vendre de faux certificat », constate le Dr Duquesnel.

La dérive des plateformes de téléconsultation

Le médecin attire l’attention sur un autre phénomène plus pernicieux : « Les arrêts de travail délivrés par les plateformes de téléconsultation ! La Cnam le reconnaît elle-même. Il y a de nombreux abus, des gens qui ne sont pas malades et qui obtiennent des arrêts de travail abusifs, avance le généraliste qui dénonce cette dérive. Et en plus, les plateformes se font payer 25 euros par l’Assurance-maladie pour produire ces faux… »

Dans ce cas, l’assuré ne risque pas grand-chose. En revanche, ceux qui recourent à de faux certificats s’exposent à des sanctions financières, rappelle la Cnam. Elles peuvent s’élever jusqu’à 300 % du préjudice subi. Les contrevenants s’exposent également à des poursuites judiciaires pour des faits d’escroquerie, faux et usage de faux et fausses déclarations.


Source : lequotidiendumedecin.fr