Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France

« Des généralistes commencent à déplaquer, nous redoutons l’effet domino »

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Publié le 24/03/2023
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Alors que la profession se retrouve à Paris au Congrès de médecine générale France (CMGF, 23-25 mars), la présidente de MG France s’alarme que de nombreux généralistes, proches de la retraite ou plus jeunes, raccrochent le stéthoscope. La Dr Agnès Giannotti a lancé un observatoire de la démographie pour mesurer ce phénomène que l’échec des négociations avec l’Assurance-maladie pourrait amplifier. « Si on veut qu’il reste des médecins traitants demain, il faut revaloriser cette fonction », plaide-t-elle, en attente du règlement arbitral.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : MG France a été le premier syndicat à refuser de signer, fin février, le projet de nouvelle convention. Cette décision a-t-elle été facile à prendre ?

Dr AGNÈS GIANNOTTI : Oui et non. Nous sommes un syndicat constructif et essayons toujours de trouver des compromis. Pour autant, refuser de signer a été facile car rien de ce que nous demandions ou presque ne figurait dans le projet que la Cnam nous a présenté ! Cette décision a été prise à l’unanimité par notre comité directeur. Depuis plus d’un an, nous réclamons une mise à niveau du tarif de la consultation de base à 30 euros pour rattraper sept ans de blocage tarifaire. Nous avons eu beau répéter à tous nos interlocuteurs que nous ne signerions pas sans le C à 30 euros, aucun ne l’a cru !

Poser la revalorisation du C à 30 euros en préalable à la discussion n’était-il pas justement une erreur ?

Je conteste le terme de revalorisation ! Il s’agissait d’une remise à niveau compte tenu de l’inflation. C’était pour les sept ans passés et les cinq à venir pendant lesquels il n’y aura aucune évolution tarifaire. Il fallait absolument revaloriser la médecine générale et mieux reconnaître la fonction de médecin traitant. Mais certains ont eu peur, s’ils nous augmentaient, que l’on travaille moins. Or, depuis plusieurs mois, des médecins quittent la profession. On commence même à voir des jeunes déplaquer ! C’est sidérant ! Mais nos interlocuteurs ne veulent pas le voir.

Le ministère a évoqué une enveloppe de 1,5 milliard d’euros en année pleine pour revaloriser la profession. Cela n’a pas pesé ?

Cette enveloppe était destinée aux généralistes et aux spécialistes et son fléchage était flou. Et il y avait un tel retard à combler pour les soins primaires. L’hôpital a eu le Ségur, la ville n’a rien eu du tout ! La médecine libérale est dans un tel état qu’il fallait un investissement bien plus important que les 1,5 milliard d’euros. Quant aux contreparties qui nous étaient demandées, elles étaient inacceptables. 

Ces négociations ont donné dès le début l’impression d’un dialogue de sourds. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Déjà, la lettre de cadrage [du ministre] n’allait pas avec l’injonction de travailler plus. Réécoutez aussi le discours des vœux du président de la République ! Ensuite, pendant les discussions, certaines choses m'ont choquée. Par exemple, le projet prévoyait que, dans le cadre du contrat d’engagement territorial, le C aurait été porté à 30 euros et la consultation spécialiste à 35 euros. C’est inadmissible. La médecine générale est une spécialité comme les autres. 

Les syndicats ont-ils collectivement été suffisamment force de propositions ?

De notre côté, nous l’avons toujours été. Nous avons réussi à faire bouger quelques lignes à la marge. Si on veut qu’il reste en France des médecins traitants demain, il faut revaloriser cette fonction ! Nous devons aussi répondre au défi d’une population vieillissante avec des besoins de santé chroniques. Il est crucial de reconnaître la complexité et la lourdeur de la prise en charge. Là-dessus, rien ne nous a été proposé hormis une consultation à 60 euros pour les patients en ALD de plus de 80 ans. 

Au lendemain de l’échec, François Braun a regretté le « manque de responsabilité des médecins »…

S’il y a un irresponsable dans cette histoire, c’est le ministre ! Ses propos sont indignes. Nous, nos responsabilités, nous les prenons tous les jours, en essayant de soigner les gens dans des conditions devenues intenables. Les médecins n’en peuvent plus. Pendant le comité directeur, auquel ont participé près de 300 confrères, nous avons entendu des témoignages bouleversants de confrères exaspérés. Oser nous dire que nous sommes irresponsables est inadmissible.  

Faute d’accord, un règlement minimal va être proposé par une arbitre, Annick Morel. N’est-ce pas pire que le mal ? Que souhaitez-vous voir figurer dans ce texte ?

Nous ne savons pas si ce sera pire. Peut-être la vision d’Annick Morel sera-t-elle moins délétère que celle des pouvoirs publics ! Mon vœu est que l'arbitre pose des jalons qui puissent servir de bases saines à la future négociation. Nous avions tout de même beaucoup travaillé avec la Cnam. Nous nous étions notamment mis d’accord sur l’objectif des 10 000 assistants médicaux à l’horizon 2025.  

Vous venez de mettre en place un observatoire de la démographie des médecins traitants. Qu’en attendez-vous ?

Nous voulons analyser l’activité des généralistes, voir s’ils sont tous médecins traitants et tenter de savoir ce que font les autres. Est-ce que les jeunes s’installent ? Pourquoi certains partent-ils ? Pour quoi faire ? Nous étudierons cette évolution pour mesurer l'impact néfaste de l’absence d'investissement dans les soins primaires. La situation démographique peut se dégrader très rapidement car des médecins ont commencé à déplaquer… Nous avons d’ailleurs relevé que le ministre de la Santé est revenu sur son engagement d’offrir un médecin traitant à tous les patients en ALD. Lors d’une récente visite à la CPAM de Créteil, François Braun a dit que l’objectif était désormais de stabiliser puis de réduire le nombre de patients ALD sans médecin traitant. 

Ces départs de confrères semblent vous inquiéter ?

Oui, ce mouvement n’est pas seulement lié aux négociations conventionnelles. Les propositions de loi hostiles aux médecins (Rist, Valletoux, Garot), en sont aussi l’origine. Nous sommes traités d’irresponsables, de moins que rien, alors que nous faisons de notre mieux dans des conditions compliquées. Dans une maison de santé où il y a cinq médecins, par exemple, si l’un d’eux part, ça peut tenir. Mais si un deuxième part, les autres ne pourront plus payer la secrétaire ou l’assistant médical… Nous redoutons vraiment cet effet domino. 

Les généralistes ne peuvent pas toujours accepter de nouveaux patients, particulièrement en ALD. Comment améliorer la situation ?

La seule solution, c’est de revaloriser la fonction de médecin traitant ! 40 % des diplômés en médecine générale ont quitté le métier pour faire autre chose. Les médecins qui sont partis reviendront si on leur propose quelque chose d’intéressant. Il faut limiter la casse et protéger les médecins en activité dont un grand nombre sont aux limites de l’épuisement. Arrêtons de leur en demander plus. C’est pour cette raison que nous avons lancé un mot d’ordre d’arrêt des heures supplémentaires.

Malgré la crise démographique, les médecins freinent quand on évoque certaines délégations d’actes. Pourquoi ? Quelle serait la bonne échelle pour les développer ?

Je préfère parler de travail en commun que de délégations. Tout dépend du cadre. Quand on exerce de façon très proche au quotidien, avec des infirmiers, des assistants médicaux ou des secrétaires, ce travail en équipe permet d’accueillir plus de gens. Il faut qu’ils soient dans le même local et avec le même logiciel, pour échanger les informations. Plus qu’un descriptif d‘actes à déléguer, il me semble préférable de voir dans quel cadre on travaille ensemble. L’échelle idéale est la maison ou un centre de santé, ou encore une équipe autour du médecin traitant mais pas la CPTS. 

Les propositions de loi coercitives se multiplient. Redoutez-vous que l’une d’elles aboutissent à la fin de la liberté d’installation ?

Si l’État pense régler le problème de la démographie médicale avec la coercition, il se trompe. Si vous contraignez quelqu’un qui va mal, il n’en fera pas plus. Si les pouvoirs publics persistent dans cette voie, il n’y aura bientôt plus personne ! La question est : veut-on encore dans ce pays des médecins généralistes demain ? 

De plus en plus de médecins évoquent la possibilité de se déconventionner. Est-ce une solution ?

C’est une voie sans issue présentée par ceux qui y voient un moyen de peser sur le débat. Cela n’a aucun sens. D’autant plus que ce n’est pas viable économiquement.

Après la grande manifestation à Paris, le 14 février, est-il toujours l’heure pour les médecins d’exprimer leur mécontentement ? 

Nous allons voir comment les choses évoluent, si la commission mixte paritaire de la PPL Rist [qui prévoit notamment l’accès direct à certaines professions paramédicales, NDLR] est une déclaration de guerre ou pas. Nous verrons aussi ce qui sort du règlement arbitral. L’urgence est de prendre en compte l’état de la profession ! Si les ministres continuent d’être aussi méprisants, il y aura d’autres mouvements de colère. 

« Nous avons eu beau répéter à tous nos interlocuteurs que nous ne signerions pas la convention sans le C à 30 euros, aucun ne l’a cru ! »  

« Il faut limiter la casse et protéger les médecins en activité dont un grand nombre sont aux limites de l’épuisement. »


Source : Le Quotidien du médecin