Dr Jérôme Marty (UFML-S) : « On nous pousse au déconventionnement mais je dis aux politiques : empêchez-nous de le faire ! »

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Publié le 02/03/2023
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Crédit photo : S.Toubon

À la veille des premières assises du déconventionnement – organisées les 3 et 4 mars à Paris par l’Union française pour une médecine libre (UFML-S) – son président le Dr Jérôme Marty assume et explique les enjeux de cette opération, expression du malaise profond de la profession. Un « moyen de pression », dans le contexte de rejet unanime du projet de convention médicale. « On nous pousse au déconventionnement, avance le généraliste de Fronton. Je dis aux politiques : empêchez-nous de le faire ! »   

LE QUOTIDIEN : Pourquoi lancer maintenant vos assises du déconventionnement alors que le projet de convention médicale a été rejeté ?

Dr JÉRÔME MARTY : L’idée n’est pas de prôner le déconventionnement mais d’aborder cette problématique car aujourd’hui, c’est factuel, des milliers voire des dizaines de milliers de médecins ne se reconnaissent pas dans cette convention.

Le système est désormais incapable de garder ses médecins ! Il n’y a qu’à regarder les chiffres de l’enquête de l’URPS Île-de-France publiée mi-février : un quart des praticiens sont prêts à se déconventionner [tout en poursuivant leur activité médicale]. Et selon l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), 10 % des étudiants sont prêts à aller exercer à l’étranger… Le sujet monte ! L’évènement est plein à craquer depuis un mois et demi, on attend 700 personnes sur place et plus de 1 000 médecins en visio. Mais l'ambiance est très tendue. On me dit que c’est une honte, les invités reçoivent des mails anonymes, leur demandant de ne pas y aller…

Comment espérez-vous faire bouger les lignes politiques ?

C’est vraiment un moyen de pression, de lobbying, on ne s’en cache pas. Nous avons la prétention de penser que, si un gros volant de médecins décident de se déconventionner, soit le politique fera tout pour les garder et nous négocierons, soit il ne fait rien et dans ce cas les confrères sortiront du système avec une méthodologie préparée très à l’avance, pour que le moins de médecins et de patients y perdent leur plume. Je reste conventionniste, je reste pour le système solidaire mais c’est notre boulot de syndicat de permettre aux médecins de choisir leur avenir.

Vous parlez de « déconventionnement collectif ». À quoi cela correspond ?

Oui, l’idée n’est pas de partir tout seul à l’aventure ! Lors des assises, nous allons proposer aux médecins qui souhaitent se déconventionner une méthodologie, avec une granularité très fine, pour qu’il y ait le moins de risques pour eux et pour les patients. C’est ceinture et bretelles. Ce déconventionnement collectif va se faire étape par étape, territoire par territoire.

Chaque médecin signera une promesse de déconventionnement et nous reviendrons les voir à plusieurs reprises pour vérifier s’ils maintiennent leur promesse. Une fois que 20 % des médecins d’un territoire auront maintenu leur promesse, on pourra considérer que ce territoire est « tombé ». Là, ça aura un vrai sens, du poids. Quand nous arriverons – si on y arrive – à 10 000 voire 15 000 médecins déconventionnés, nous pourrons aller voir les politiques et leur demander : qu’est-ce que vous faites aujourd’hui pour les garder ?

Vous demanderez donc aux médecins qui participent à vos assises… de s’engager à se déconventionner ?

À la fin des assises, il y aura un huissier et une urne transparente où les participants pourront glisser des courriers d’engagement au déconventionnement, réalisés par nos juristes. Devant les caméras, les médecins mettront ces premières promesses, pour sceller leur engagement. Attention, nous n’allons pas faire déconventionner tout le monde en deux jours, c’est une action que nous allons mener sur un an et demi. On tient à le faire proprement, en discutant avec les politiques.

Ne craignez-vous pas la mise en place d’une médecine à deux vitesses ? Le ministère comme la Cnam ont dénoncé votre initiative… 

Pendant tout ce temps, nous allons discuter avec les assurances privées et les complémentaires, de façon à mettre en place un système qui soit le plus gagnant possible, à la fois pour les médecins et pour les patients. C’est tout l’intérêt du déconventionnement collectif : car si vous allez discuter tout seul avec une mutuelle, vous n’avez aucun poids ! Donc l’idée est d’aboutir à un secteur III qui soit mieux ficelé que celui qui existe actuellement.

Par exemple, l’un de nos objectifs est de faire tomber le tarif d’autorité. C’est un scandale franco-français ! Vous êtes remboursé 0,61 euro la consultation de médecine générale, 1,22 euro pour un spécialiste. Alors même que le patient qui consulte un médecin déconventionné, jusqu’à preuve du contraire, cotise à la Sécu. Le médecin, lui, a le même diplôme que son confrère conventionné, il réalise le même acte, mais l’Assurance-maladie décide qu’il n’est pas remboursé. On me dit que c’est une honte, que le déconventionnement crée des inégalités, mais ce n’est pas moi qui définis qui est assuré ou non… 

Il y a 15 ans, l’Association pour l’ouverture du secteur II (Apos 2) avait attaqué ce tarif d’autorité au Conseil d’État, mais ce dernier a débouté les plaignants expliquant que, puisqu'il n’y avait qu’une minorité de médecins déconventionnés, il n’y avait pas de risque de perte économique pour le patient qui avait toute la capacité à se tourner vers un praticien conventionné. Mais dès l’instant où il y a des déconventionnements collectifs, il n’y a plus de rareté. Et la jurisprudence tombe.

Pensez-vous que les menaces de déconventionnement font peur au gouvernement et à l’Assurance-maladie ?

Je pense qu’ils sont inquiets. Je suis le premier à dire qu’il faut protéger le système solidaire comme un joyau, mais force est de constater que ceux qui le sabotent, ce n’est pas nous ! On nous parle d’inégalités devant le soin, mais ce n'est pas nous qui avons mis des actes de chirurgie tellement bas qu’ils ne peuvent désormais que se développer en secteur II ! Tout ce que nous vivons actuellement est la conséquence de décisions politico-administratives. On nous pousse au déconventionnement.

Si, aujourd’hui, des milliers de médecins sont prêts à sauter le pas, sachant pertinemment ce qu’ils ont à perdre, c’est vraiment que le système n’est pas alléchant. Je dis aux politiques : empêchez-nous de le faire !


Source : lequotidiendumedecin.fr