Draguer un patient ? Le « oui, mais » de l’Ordre des médecins

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Publié le 07/04/2018
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Crédit photo : DR

Un an de suspension d’exercice. C’est la sanction infligée à un jeune médecin québécois pour avoir dragué un patient sur Facebook. La presse canadienne s’est fait l’écho de cette affaire qui remonte au 31 décembre 2016 et qui vient seulement d’être jugée.

L’omnipraticien avait reçu ce patient en consultation aux urgences de l’hôpital Saint-François-d’Assise pour des douleurs abdominales. Quelques heures après, il avait renoué la conversation sur Facebook et l’avait invité à le recontacter s’il ne se sentait pas bien. Mais les échanges avaient pris une toute autre tournure quelques jours plus tard : le médecin faisait savoir à son patient, âgé de 19 ans, qu’il ne serait pas contre un « trip à trois ». « À mon avis, cette conversation n’est pas appropriée pour un médecin avec son patient » répondit le jeune homme, qui portait plainte auprès du Collège des médecins québécois.

Le Conseil de discipline a reproché au généraliste d’avoir profité de son statut de médecin pour entretenir une relation avec un patient. Il l’a sanctionné malgré les remords exprimés par le professionnel et son engagement à suivre une psychothérapie.

Une affaire qui soulève des questions

La sanction est exemplaire, selon le Conseil, qui dit vouloir envoyer un « message clair aux membres de la profession ». Et pourtant, cette affaire soulève quelques questions. Un urgentiste qui aurait examiné un patient une seule fois est-il soumis aux mêmes obligations qu’un médecin traitant vis-à-vis de sa patientèle ?

Pour le Dr Gilles Munier, vice-président du CNOM, ce praticien québécois aurait pu être sanctionné en France. « On considère qu’un médecin qui a examiné un patient, même une seule fois, a pu découvrir des traits de caractère, un contexte psychologique particulier, voire une pathologie plus sérieuse au niveau psychiatrique », explique le généraliste. Dans ce contexte, un praticien est en situation d’abuser de sa fonction de médecin, et de l’ascendant qu’elle lui confère, pour tenter d’avoir des relations à caractère sexuel avec son patient. C'est d'autant plus vrai lorsqu'il s’écoule peu de temps entre la consultation et la prise de contact, comme ce fût le cas dans cette affaire québécoise.

Peut-on vivre une histoire d’amour avec un(e) patient(e) ?

Le code de déontologie médicale (articles 2, 3 et 7) met en garde les médecins contre ces dérives, sans toutefois interdire les relations sexuelles entre un médecin et les patients dont il assure le suivi, comme le réclamait récemment un collectif de médecins. Dans ses commentaires (voir encadré ci-dessous), l’Ordre est très explicite sur les possibles inconduites à caractère sexuel, notamment pendant la consultation.

Pour autant, le Dr Munier n’exclut pas une relation intime entre un médecin et son (sa) patient(e), sous conditions. Les témoignages de médecins ayant eu une histoire d’amour avec un(e) malade (allant jusqu’au mariage) sont là pour le rappeler. « Quand on a affaire à deux adultes consentants, que l’asymétrie n’apparaît pas entre le médecin et son patient et que ce dernier ne présente pas de vulnérabilité particulière, on ne voit pas pourquoi il y aurait interdiction », indique le Dr Munier. L’ordinal insiste cependant sur la nature de l’asymétrie entre le praticien et son malade.

« Suivant la pathologie, si c’est un petit bouton à soigner par exemple et qu’il n’y a pas de suivi médical, on dira que l’asymétrie n’est pas énorme, avance le Dr Munier. Par contre dans le cas de pathologies psychiatriques, elle apparaît plus forte. »

L’état de vulnérabilité du patient est également primordial pour évaluer la situation. « Un malade qui a un faible niveau socio-économique, qui présente une pathologie anxiogène dépressive, est plus vulnérable. Le médecin connaît son profil psychologique… Il est en situation d’en abuser » poursuit le généraliste.

La psychiatrie, un cas à part

L’Ordre recommande également d’adresser à un confrère le patient avec lequel il envisage une relation plus intime et de laisser passer un laps de temps raisonnable entre la fin de la prise en charge et le début de la relation.

Le cas des psychiatres est plus délicat, insiste cependant le Dr Munier. « L’asymétrie est évidente. Le praticien a connaissance du mécanisme psychologique du patient. » Au Québec, ce type de relation est interdit, rappelle l’ordinal. 

 

Inconduite à caractère sexuel - 10 conseils pour s’en préserver

1 -  Ne pas abuser de l’ascendant de la fonction de médecin notamment sur des patients vulnérables, du fait de leur état pathologique ou de leur situation, pour transformer la relation médicale en relation sexualisée.

2 - Toujours, par une attitude de réserve consciente et de bonne tenue, sans familiarité déplacée, respecter la personne humaine et sa dignité.

3 - Réserver le cabinet médical uniquement à la pratique médicale (prévention, soins, investigations para-cliniques, expertise).

4 - Expliquer toujours le déroulement de l’examen au patient, en préciser le pourquoi et le comment, puis en recueillir le consentement.

5 - Assurer l’intimité du déshabillage (box, paravent…).

6 - Envisager l’opportunité, en accord avec le patient, de la nécessité de la présence d’un tiers (proche du patient, étudiant, autre collaborateur tenu au secret professionnel).

7 - S’abstenir d’un comportement ambigu (palpation, commentaires…) et d’un jeu conscient de séduction.

8 - Détecter les personnes à risques comme les séducteurs et érotomanes, clarifier la situation avec les patients et si nécessaire appliquer les dispositions de l’article 47 du Code de Déontologie Médicale qui permet “au médecin, hors le cas d’urgence et le respect de ses devoirs d’humanité, de refuser ses soins”.

9 - Analyser la situation en étant à l’écoute de ses émotions pour les canaliser entre ce qui peut ou ne peut pas, être vécu.

10 - S’interroger sur ses actes, ses attitudes et, en cas de situation difficile, identifier la personne ressource comme un confrère, avec laquelle on peut, en confiance, en parler et bénéficier de l'écoute et de conseils, pour clarifier la situation.

Extrait des commentaires du code de déontologie médicale


Source : lequotidiendumedecin.fr