Pr Paul Frappé, président du Collège de la médecine générale (CMG)

« Il y a une vraie crise identitaire de la médecine générale »

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Publié le 27/01/2023
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Inquiet du discours sur la santé d'Emmanuel Macron et face à la « crise identitaire » de la médecine générale, le Pr Paul Frappé, président du CMG, appelle à une reconnaissance et à une valorisation du rôle et du travail du généraliste. Ouvert à l'évolution des métiers et des pratiques, il réclame un « fil rouge » pour dépasser les « crispations ».

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

LE QUOTIDIEN : Les soins primaires et la médecine générale ont été peu évoqués lors des vœux d’Emmanuel Macron, contrairement à l’hôpital. Qu’en avez-vous pensé ?

Pr PAUL FRAPPÉ : Ça m’a laissé sur ma faim et très inquiet. Alors que le discours politique devrait être là pour unifier, j’ai l’impression que ces vœux ont noirci le trait des oppositions. Dire que répondre aux besoins des patients se fera aux dépens du médecin, que les solutions de l’hôpital se feront aux dépens de la ville : je trouve ça très dangereux. Aujourd’hui, on promet à 650 000 patients en ALD qu’ils trouveront un médecin traitant – sous-entendu on serre la vis du généraliste pour qu’il accepte – mais il n’y a pas de messages derrière pour le médecin traitant, pas de nouveaux moyens ni d’outils proposés.

Quel regard portez-vous sur les nouvelles délégations de tâches et l’accès direct ? Comprenez-vous les craintes de vos confrères ?

Il y a une vraie crise identitaire de la médecine générale, sans doute alimentée encore par les vœux du Président mais aussi par des paroles politiques qui se plantent totalement de discours en nous opposant et en dénigrant la spécialité. Cette crise identitaire s'accentue aujourd'hui car pendant trop longtemps, on n'a pas reconnu et valorisé ce que les généralistes faisaient réellement. Cela crée des crispations et le sentiment d’être dépouillé de nos activités par d'autres. Mais c’est un raisonnement à dépasser. 

Au CMG, nous pensons qu'il ne faut pas bloquer l’évolution des métiers – celui de généralistes comme celui de nos collègues paramédicaux. Il faut réussir à dépasser les certitudes historiques qui font du diagnostic l’apanage du médecin. Ça c’est fini, c’est une erreur ! Le kiné fait un diagnostic de kiné, le pharmacien un diagnostic pharmaceutique… Le généraliste lui-même fait rarement un diagnostic étiologique, mais plutôt de situation. Tout le monde a sa part dans la prise en charge, et l’ouverture de l’accès direct ne nous empêchera pas de faire notre boulot.

Faudra-t-il tout de même poser des garde-fous ?

Oui, et c’est dommage car les évolutions se font sans aucun fil rouge. Je comprends la contestation : ces transferts s'opèrent au gré des enjeux politiques et corporatistes, ce qui cultive la lutte entre chaque position. Il faut pouvoir trouver un fil rouge, sans renier le rôle de chacun. Aujourd’hui, le transfert n’est fait que par activité. Mais la médecine générale, est comme un piano : ce n’est pas parce qu’on sait appuyer sur une touche et jouer la bonne note que l'on devient pianiste ! Prenons l’exemple de la vaccination : le geste n’est pas compliqué en soi, mais qui est responsable du carnet de vaccination, des rappels et du suivi ? Si les délégations sont effectuées n’importe comment, elles deviendront délétères pour le patient.

Certains généralistes réclament un doublement du tarif de la consultation. Quel regard portez-vous sur ces revendications ?

Elles sont focalisées sur le C à 50 euros, mais derrière je vois surtout l'envie de reconnaître enfin le travail du généraliste ! Le blocage du C – sans prise en compte de l’inflation – et au bénéfice de forfaits, participe énormément à cette crise identitaire de la médecine générale. En tant que généraliste, lorsque je reçois mon enveloppe forfaitaire tous les trois mois, je touche une grosse somme… mais déconnectée de ce à quoi elle correspond. Ça donne encore plus le sentiment que notre activité n’est pas reconnue car il suffit d’être dépendant de l’Assurance-maladie pour la percevoir. Nous avons besoin de marcher sur nos deux pieds : d’un côté, le forfait pour l'organisation et le suivi au long cours, de l'autre l’acte, nécessaire pour valoriser directement notre connexion au patient. La demande de revalorisation participe à cette quête de sens.

Que pensez-vous de l’ajout d’une quatrième année à l’internat de médecine générale ?

À mon sens, le gros problème est que cette quatrième année a été annoncée avant même que l’on ait fixé ses conditions concrètes. Tout va dépendre de la mission lancée sur le sujet mais je pense qu’un certain nombre de craintes pourront être facilement désamorcées. Par exemple, le fait que cette année supplémentaire ne soit pas exclusivement en zones sous-dotées, ça change tout !

Pourtant les internes craignent une année d’« exploitation »

Le ver est dans le fruit ! J’aurai aimé – mais c’est mal engagé – que la rémunération du maître de stage (MSU) soit décorrélée de l’activité de l’interne car ça crée un ressenti négatif chez les jeunes, qui ont le sentiment d’être exploités. Il serait intéressant d'établir, pour ces stages en ambulatoire, un paiement avec un plancher et un plafond, qui refléterait la réalité du volume de travail réalisé par interne. Le plancher permettrait d'assurer une rémunération minimum car il est possible, même en zone sous-dotée, que les patients ne viennent pas. C’est ce qui s’est passé dans un cabinet de La Réunion, au cirque de Mafate, zone complètement désertifiée, où les patients ne voulaient pas consulter l’interne et préféraient faire des dizaines de kilomètres car ils avaient le sentiment d’une médecine de second niveau.

Je rêve encore, mais nous pourrions imaginer que le MSU soit rémunéré pour son travail pédagogique tout en étant indemnisé pour la perte de son activité. Par exemple, si l’interne est accueilli un jour par semaine, le MSU percevrait un cinquième de sa rémunération en compensation. Il n’y a ni perte, ni gain, dans la relation avec l'étudiant. J’ai été auditionné par la mission quatrième année et j’ai défendu cette idée, mais j’ai peur que ça n’aboutisse pas.

Cette 10e année d’études ne va-t-elle pas nuire à l’attractivité de la médecine générale ?

C’est plutôt le débat qui crée un manque d’attractivité ! La médecine générale reste, quoi qu’il arrive, un métier où l'on se régale. Au-delà de la considération sociétale, quand un patient vous remercie, c’est un plaisir que personne ne vous enlèvera, une énorme richesse ! Tant que l'on ne nous prive pas de la possibilité de recevoir tous les motifs de consultation, tous les patients et les suivis au long cours, la médecine générale restera attractive.

En juin dernier, moins d’un médecin sur deux s’était engagé dans son parcours triennal de DPC. Comment l’expliquez-vous ?

Clairement, il y a beaucoup de retard. Les généralistes n’ont pas conscience qu’ils peuvent déjà valider leur parcours triennal avec ce qu’ils font naturellement – aller à un congrès, participer à un réseau de surveillance de type Sentinelles… Une bonne partie d'entre eux fait ce qu’il faut, mais pas d'un point de vue administratif !

On pâtit d’un système qui n’est pas apaisé, pas serein. La première mission du DPC devrait être de permettre de détecter passivement les activités du médecin, sans qu’il n'ait à remplir un formulaire. C’est à l’organisme qui met en place les actions de saisir les attestations. Pour la certification périodique – qui entre en vigueur en 2023 – il faudra que ce soit la même chose, nous n'avons pas le droit de créer une usine à gaz !

Après une période trouble de désinformation médicale pendant la pandémie, quelle place a repris l'evidence-based medicine dans la pratique ?

La crise nous a fait comprendre que l’information scientifique pouvait évoluer. Si le généraliste ne veut pas tromper ses patients, il faut les rassurer et essayer d’évoluer dans un contexte d’incertitude en se raccrochant à des référentiels structurés. Lorsqu'un patient pousse la porte d’un cabinet, qu’il voit la plaque du médecin, il s’attend à une médecine de logique, de raison – et humaine bien sûr – non pas une médecine émotionnelle, de chaman. Enfin, notre rapport à la science a évolué. Certains voyaient la science comme une vérité absolue, alors que c'est un argument, qui peut se discuter, s’interpréter parfois de manière opposée.

Le CMG a alerté sur les dérives de la téléconsultation. Quels sont pour vous les garde-fous pour une démarche éthique et de qualité ?

Nous ne sommes pas contre la téléconsultation, loin de là ! C’est un nouvel outil dont il faut s'emparer. Pour le CMG, elle est plus adaptée au suivi chronique ou en Ehpad, lorsque le médecin connaît bien son patient. Malheureusement, par la force des choses, la téléconsultation s’est engouffrée en premier dans la frénésie du soin aigu, de dépannage. Ça donne souvent lieu à une médecine de rustine. Quand le généraliste est face à un patient qu'il ne connaît pas, derrière la caméra, il fait ce qu’il peut et c’est souvent « ceintures et bretelles » dans la prise en charge ! J’ai tout de même l’espoir que progressivement, ça finisse par se décanter.

L’explosion des téléconsultations ne participe-t-elle pas, aussi, à cette crise identitaire ?

Ça ne fait que l'empirer. Je crains que ces solutions de téléconsultation ne fassent qu’attiser une frénésie qui va renforcer la tension entre l’offre et la demande. La médecine c’est aussi savoir dire non… Il faut arriver à apaiser les patients, sans pour autant attiser l’anxiété et la frénésie du recours au soin. À terme, l’un des enjeux sera d’identifier les « grands consommateurs » de suivi aux urgences, car ce sont des personnes vulnérables, promenées d'un soin non programmé à un autre, soignées uniquement par de la médecine de rustine. Elles continuent d'être poussées vers ces systèmes non régulés, alors que ça n’aide personne.

Léa Galanopoulo

Source : Le Quotidien du médecin