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Dossier

Médecine libérale, du renfort !

« Je ne peux plus m'en passer » : à Lyon, l'assistant médical fait ses preuves

Par Loan Tranthimy - Publié le 19/11/2021
« Je ne peux plus m'en passer » : à Lyon, l'assistant médical fait ses preuves

Grâce à Valérie, son assistante, le Dr Charles-Henry Guez ne fait « que du médical »
SEBASTIEN TOUBON

Deux ans et demi après l'accord sur les assistants médicaux, plus de 2 500 contrats ont été paraphés avec l'Assurance-maladie (ou sont en cours). Malgré la crise sanitaire, ce dispositif annoncé en septembre 2018 par Emmanuel Macron pour libérer du temps médical séduit désormais au-delà des praticiens pionniers ou des zones sous-dotées. Reportage à Lyon auprès de généralistes convaincus.

« Comment avons-nous pu travailler sans l’appui d’un assistant médical ? Aujourd’hui, je ne peux plus m’en passer ! », confie le Dr Aurélie Denis Hubert. Installée depuis 11 ans en secteur I à Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) dans un cabinet de groupe, la généraliste de 41 ans ne tarit pas d’éloges sur ce dispositif porté par l’avenant n°7 signé en juin 2019 par la CNAM et trois syndicats de praticiens libéraux (CSMF, SML et MG France).

Dès février 2020, à l'aube de la crise sanitaire, elle fut la première du cabinet à contractualiser avec sa caisse primaire pour recruter un assistant. « Le concept m'a tout de suite intéressé car il me permet de gagner beaucoup de temps administratif », confie-t-elle. De fait, ce nouveau métier – entre secrétaire médicale, infirmière et aide-soignant – vise à libérer les médecins au quotidien de tâches non directement liées aux soins (notamment administratives), tâches que le médecin reste libre de définir selon ses besoins et le profil de son auxiliaire. Pour soutenir l'embauche, la caisse verse une aide forfaitaire évolutive (lire page 12) permettant de subventionner le contrat d'assistant, en l'occurrence un mi-temps pour le Dr Aurélie Denis Hubert qui touche 18 000 euros la première année. En contrepartie de ce renfort, elle s’engage à suivre 155 patients supplémentaires en trois ans… 

En mars 2020, c'est au tour de son associé, le Dr Charles-Henry Guez, vice-président généraliste du SML, de signer le même contrat avec la Sécu, également pour une option mi-temps ETP. Les deux autres médecins du cabinet leur emboîtent le pas en août 2020 pour recruter un deuxième assistant… La machine est lancée. 

Délégation à la carte

Ouvert de 8 h à 20 h du lundi au vendredi (et le samedi de 8 h à midi), le cabinet médical, moderne et accueillant, dans la banlieue ouest de Lyon, ne désemplit pas ce jour de novembre. Derrière le comptoir d’accueil, Valérie, 32 ans, la première assistante médicale, virevolte. Entre l’accueil des patients, les rendez-vous à prévoir et la gestion de l'agenda pour les soins non programmés, la jeune femme enchaîne, avec méthode. « Je suis rentrée dans le cabinet en 2008 en tant que secrétaire médicale, raconte-t-elle. Mais j'ai souhaité évoluer ».

Depuis septembre, elle suit à cet effet une formation en alternance pour obtenir le certificat de qualification professionnelle, sésame pour exercer le nouveau métier d'assistante médicale. « Et c'est bien de faire autre chose que de l'administratif », précise-t-elle. Vœu exaucé : l’équipe médicale lui a délégué « toute la vaccination contre le Covid sauf l'injection ». À elle de commander les doses vaccinales, d’organiser les rendez-vous, de préparer les seringues… 

Pas d'objection

Cet après-midi, l'assistante épaule le Dr Guez, 63 ans, pour le rappel vaccinal de Madeleine, 91 ans. « Grâce à Valérie, je ne fais que du médical, insiste le praticien. Je prends du temps pour échanger avec le patient ». Et le tandem est rodé. Alors que l'assistante enregistre la vaccination sur le site ameli, facture l’acte et délivre le certificat, le médecin administre la dose et répond aux angoisses. « Je risque gros avec le vaccin, Docteur ? », s'inquiète la vieille dame. « Vous êtes enseignante et je suis un scientifique, sourit-il. Sachez que 95 % des personnes en réanimation qui ont des formes graves n'étaient pas vaccinées. Oui, vous pouvez avoir un peu de fièvre, le bras engourdi suite à cette vaccination, mais elle vous protège ». Madeleine acquiesce, ravie de l’échange.

C'est ensuite au tour d'Aline, 82 ans, qui n'a aucune « objection » à ce que l’assistante médicale lui prenne les constantes. « C'est au médecin de s'organiser. Je ne vois pas de changement dans ma relation avec lui », explique la patiente. 

Difficultés de recrutement

L’équipe médicale s’organise au mieux pour intégrer ces renforts dans le quotidien du cabinet. Outre Valérie, une deuxième assistante vient d’être recrutée. Sirine, 21 ans, démarre tout juste, avec un salaire « à peine plus haut que le Smic ». Diplômée d’un bac ES, la jeune femme a déjà travaillé comme secrétaire médicale aux Hospices civils de Lyon (HCL) pendant un an. Si elle est à l'aise avec l'accueil administratif, elle devra « faire ses preuves » sur les tâches d'assistance du médecin, avant de suivre la formation d'assistante médicale dès l'an prochain.

Déjà, ces médecins se disent « conquis » par le fonctionnement en binôme, même s'ils ne sous-estiment pas les difficultés. « Aujourd’hui, il n’y a pas d'assistants médicaux sur le marché, souligne le Dr Guez. C'est rapide pour trouver quelqu'un mais il faut ensuite la former ! Une fois formée, elle peut partir ailleurs pour un confrère qui n’a pas joué le jeu de la formation. C’est une angoisse »

Le financement est un deuxième obstacle. Car l'aide versée « ne couvre pas les frais patronaux », objecte le Dr Aurélie Denis Hubert, en écho à des critiques entendues sur la faiblesse de cette dotation. Or, « l'idéal serait de pouvoir recruter un contrat à temps plein par médecin », recadre-t-elle. Ici, cela semble même une nécessité puisque le cabinet, transformé en pôle de santé l'an dernier avec l'arrivée de deux infirmiers, devra bientôt absorber la patientèle de deux médecins du secteur qui partiront fin décembre à la retraite.

Objectif 4 000 ?

Alors que certains détracteurs ont dénoncé l'usine à gaz des assistants médicaux, le Dr Guez évoque plutôt la « complexité » du système de calcul de la subvention, intégrant niveau de patientèle initiale et file active. « Je suis autour de 1 900 patients médecin traitant et j'en accepte de nouveaux mais j'en perds aussi, dit-il. Comment la caisse va faire son calcul ? Il faudra nous l'expliquer. En tout cas, si on nous supprime ces aides, je serai dans l’obligation de licencier »

Mais pour l’heure, c'est le côté positif qui domine. Le généraliste appelle même les autorités faire connaître cette réforme auprès de ses confrères. « Dans ma région, sur 13 500 médecins libéraux, seulement 180 contrats ont été signés… C’est totalement insuffisant. L'objectif des 4 000 contrats promis par le Président risque de ne pas être atteint dès 2022. » Une façon de nuancer le tableau optimiste de l'Assurance-maladie…

De notre envoyée spéciale Loan Tranthimy