Décisions médicales individuelles, prix des médicaments...

Jusqu'où le patient a-t-il voix au chapitre ?

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Publié le 09/06/2016
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Crédit photo : PHANIE

Jalonné par les états généraux des malades des cancers, en 1998, la loi relative aux droits des malades de 2002 ou encore la loi Santé de janvier 2016, le chemin vers la démocratie sanitaire est tracé, a indiqué en ouverture de matinée thématique du collège des économistes de la santé Nora Moumjid (Lyon1, CNRS, Centre Léon Bérard). Avant de préciser que beaucoup reste encore à faire.

Sortir du silence de la blouse blanche

Dans la décision médicale partagée, d'abord, pas toujours endossée par les professionnels. « Certains patients réclament le paternalisme. Mais ce n'est pas la majorité. Et tous désirent avoir l'information : voir la carte routière avec les itinéraires alternatifs, même si ce n'est pas eux qui prennent le volant », assure le Pr Jacques Cornuz (CHU Lausanne). L'interniste présente à ses étudiants un modèle en 6 étapes : inviter le patient à participer à la décision médicale, lui présenter les options, procurer une information spécifique sur les bénéfices et les risques, mettre en exergue les préférences et les valeurs des patients, faciliter la délibération et savoir revenir dessus. « La décision médicale partagée est une rencontre entre 2 expertises, dont celle du patient », insiste-t-il.

Conséquence pour le médecin : il doit sortir « du silence de la blouse blanche », se faire « courtiers des connaissances et des décisions », s'adresser à la partie rationnelle du patient capable de comprendre les risques, et faire preuve d'humilité.

Giovanna Marsico, responsable de la plateforme Cancer Contribution, corrobore : « Une femme a vu son mari mourir en réanimation ; ils auraient préféré vivre ce moment au village, entourés des leurs », témoigne-t-elle, soulignant la nécessité d'écouter les valeurs et préférence des patients.

Sans compter que les choix sont multiples. « Il faut arrêter de penser que le malade est dans la sidération. Passé le diagnostic, il entre dans la maladie et doit sans cesse prendre de nouvelles décisions. Les médecins pensent trop souvent parcours et protocoles au détriment des valeurs de leurs patients », insiste Giovanna Marsico.

Patients clients

Les choix médicaux n'épuisent pas toute la liberté du patient - ce que les mutuelles ont bien compris. « La Mutualité française construit des services d'information et d'accompagnement en écoutant le terrain », avance Géraldine Merret, responsable de la prévention à la FNMF. « Il faut savoir parler du patient client : c'est un payeur, qui s'acquitte d'un reste à charge différent selon les options qu'il prend », lance, décomplexé, Laurent Borella, directeur santé de Malakoff Mederic. La complémentaire entend ainsi « favoriser le choix du patient » grâce à des services d'information et d'orientation, mais aussi des réseaux de soins et des filières hospitalières, des analyses de devis, ou encore un comparateur d'établissements. Le responsable plaide les vertus de la concurrence : « Les hôpitaux et les médecins se savent observés, cela favorise ceux qui font participer le patient », croit-il.

Prix du médicament et recherche

Les patients sont déjà présents au sein de la commission de la transparence (CT) et de la commission d'évaluation économique et de santé publique (CEESP) de la Haute autorité de Santé. La loi santé du 26 janvier 2016 prévoit la possibilité pour le comité économique des produits de santé (CEPS) de conclure un accord-cadre avec les associations de malades et d'usagers leur ouvrant la voie à l'information.

Insuffisant, dénonce Christophe Duguet, de l'AFM-Téléthon, qui demande l'intégration des patients au processus de décision des prix et des remboursements. « Cela permettrait de restaurer la confiance de la société dans les médicaments et plus largement, dans le système de santé », avance-t-il. Les représentants des patients ne doivent pas seulement avoir une fonction « tribunitienne », telle une courroie de transmission des intérêts d'un groupe ; « ce sont des experts comme les autres », plaide-t-il, « des experts de l'expérience patient ».

Pour Anne-Sophie Lapointe, présidente de Vaincre les maladies lysosomales et chercheuse, les patients doivent investir jusqu'à la Recherche, qui devrait être d'autant plus participative que les phases 1 et 2 des essais cliniques se raccourcissent et que les risques doivent être partagés. « Les patients peuvent contribuer à mettre au cœur des protocoles de recherche la qualité de vie », argumente-t-elle.

Des positions qui ne vont pas sans soulever des défis, pas seulement en termes de représentativité, mais d'influence réelle de la voix des patients sur les décisions, de leur formation - sans qu'elle ne les enferme dans une identité de souffrants, et de conflits entre leurs rôles, conclut le philosophe Jean-Claude K. Dupont.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du médecin: 9503