« La loi du 4 mars 2002 a solennisé des évolutions sociétales »

Publié le 05/03/2012
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LE QUOTIDIEN - Qu’elles sont les grandes évolutions qu’a apporté la loi relative aux droits des patients dans la relation au médecin ?

JACQUES LUCAS - La loi a créé un droit positif, avec le droit d’accès direct au dossier médical pour le patient, l’exigence de recueillir le consentement libre et éclairé, le devoir d’information de la part du médecin... Le patient n’est plus un objet mais un sujet, avec des droits. Mais cette loi a surtout solennisé des évolutions sociétales. Aujourd’hui, les relations sociales ne reposent pas uniquement sur le principe d’autorité que confère le savoir. L’affirmation sans discussion de la part d’un sachant d’un code de conduite à tenir n’est plus acceptable. L’autorité traditionnelle parentale n’est plus « pourquoi ? Parce que ». C’est un aspect positif qui peut être négatif pour des personnes sans repères. Certains estiment qu’une consultation est une prestation de service comme une autre, mais ils restent minoritaires. La qualité de l’information délivrée s’est trouvée grâce à cette loi, certainement améliorée. Il y a 25 ans, le chirurgien faisait un acte sans donner d’explication, maintenant le patient peut se plaindre de n’avoir pas été averti. Mais encore une fois, cela rejoint des évolutions plus globales, en particulier le développement de la recherche d’informations sur internet.

Quant à l’affichage des coûts, les médecins appliquent désormais les dispositions réglementaires. La loi a apporté le devis, en particulier en chirurgie plastique, mais elle n’a pas eu d’effet sur l’équité dans l’accès aux soins et l’application du « tact et de la mesure » qui restent un problème.

Cette loi, qui crée un dispositif d’indemnisation fondé sur la solidarité nationale, a-t-elle conduit à une judiciarisation que les médecins pourraient redouter ?

On exagère la judiciarisation. La relation médecin-patient n’est pas initialement de nature contentieuse, mais au contraire, placée sous le signe de la confiance réciproque. Si la relation est de qualité, il n’y a pas de conflit : le patient peut admettre l’existence des aléas et le médecin comprendra qu’il demande réparation s’il y a des complications chirurgicales. Certes, il peut y avoir des conflits provoqués par les deux parties : des patients quérulents processifs et des médecins dont l’écoute ou l’empathie posent problème. Il est vrai que des doléances et plaintes arrivent plus souvent aux conseils ordinaux. Mais la loi n’a pas été un starter. Cette évolution existait avant 2002. Et il ne faut pas globaliser : certaines disciplines, invasives, sont des terrains plus favorables que d’autres au litige.

L’exigence du consentement éclairé libre et éclairé, auprès de l’entourage lorsque le patient en est incapable, n’a-t-elle pas soumis les médecins à une nouvelle pression ?

Non. Dans des situations communes, il y a toujours l’entourage et s’il fait défaut, le médecin doit donner des soins, porter secours et répondre de son acte en cas de souci. C’est encadré par la loi.

L’obligation pour le médecin de déclarer ses conflits d’intérêt avec les industries lors d’une communication sur un produit a-t-elle bouleversé des habitudes ?

C’est vrai que la loi a fait prendre conscience aux médecins l’intérêt de déclarer ses liens d’intérêts (qui ne sont pas des conflits). C’est vrai aussi que cela n’a pas toujours été bien fait, mais ce n’était pas dans l’intention de masquer. Les professionnels n’avaient pas nécessairement conscience que leur appréciation pouvait être altérée. Il faudrait en parallèle une démarche pédagogique pour expliquer que ce n’est pas parce qu’un médecin apporte son expertise à une entreprise qu’il est corrompu. Une société de la méfiance serait néfaste, y compris pour les patients.

 PROPOS RECUEILLIS PAR C. G.

Source : Le Quotidien du Médecin: 9092