La plus petite maternité de France ferme ses portes, après 30 ans de résistance

Publié le 14/12/2017
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DIE

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Crédit photo : Angela Bolis

Au bord de la route, à l'entrée de Die, une femme au ventre rond simule un accouchement, couchée dans la paille sous une large banderole : « Maternité, chirurgie, résistance ».

Avec elle, quelques dizaines de manifestants se sont rassemblés sous les flocons, samedi dernier, pour tenter de sauver leur maternité qui doit fermer ses portes à la fin de l'année. Le matin même, trois femmes enceintes ont porté plainte contre X pour mise en danger de la vie d'autrui. Quelques jours auparavant, près d'un millier de manifestants était descendu dans les rues de cette petite commune rurale de la Drôme.

Dans le Diois, ce territoire de moyenne montagne bordé par les falaises du Vercors, certains villages sont à plus de 1 h 30 de route des hôpitaux les plus proches, à Valence ou à Gap. « Lorsque nous serons sur le point d'accoucher, il nous sera impossible de nous rendre dans l'une de ces maternités sans prendre un risque pour notre enfant et nous-même », redoutent des femmes enceintes dans une lettre adressée à la ministre de la santé Agnès Buzyn. Celle-ci a annoncé la fermeture de leur maternité le 24 novembre, à peine un mois avant les derniers accouchements prévus. Depuis, l'indignation et les soupçons d'impréparation ne tarissent pas malgré les promesses de l'agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes : renforcer les transferts d'urgence avec l'assistance permanente d'une sage-femme ; ouvrir un centre périnatal de proximité le 1er janvier 2018 ; construire un « nouvel hôpital » et installer un scanner…

Pas de pédiatre ni d'obstétriciens titulaires

La maternité de Die – la plus petite de France – n'était pas seulement un symbole. Elle est aussi au cœur d'un incessant combat, long de trente ans, pour tenter de la maintenir en vie. Depuis 1987, les autorités n'ont cessé d'envisager sa fermeture au motif d'un nombre d'actes insuffisant, et donc d'un manque de pratique du personnel. Avec 97 accouchements en 2017, elle est bien loin du seuil de 300 accouchements annuels requis pour le maintien d'une maternité. Le code de la santé publique prévoit néanmoins une dérogation, si la fermeture de ce service « impose un temps de trajet excessif à une partie significative de la population ». Le seuil de 45 minutes a été retenu par certains experts pour minimiser les risques de mortalité maternelle et périnatale.

C'est donc son isolement qui a sauvé la petite maternité dioise… jusqu'à aujourd'hui. Car cette année, la direction de l'hôpital, récemment transférée à Valence, n'a pas même demandé le renouvellement de son autorisation. Le 31 octobre, la Haute autorité de santé (HAS) émettait à son égard un rapport de non-certification. Principal grief : des effectifs qui ne permettraient pas d'assurer « une prise en charge sécurisée de la mère et du nouveau-né ».

La HAS pointe notamment l'absence de pédiatre, de réanimateur et de gynécologue-obstétricien titulaires. L'ARS a également rendu public plusieurs événements indésirables graves et une douzaine de transferts néonataux vers d'autres hôpitaux, soit près du double de la moyenne régionale, soulignant elle aussi « le manque de praticiens qualifiés pour assurer la continuité des soins ». « Les anesthésistes réanimateurs qui interviennent à Die sont des médecins intérimaires, note la tutelle régionale. Or, le recours à du personnel intérimaire de manière quasi exclusive ne permet pas de créer un travail d’équipe de qualité ».

Situation d'insécurité créée à dessein ?

La maternité de Die était-elle devenue dangereuse ? Des sages-femmes et l'ancien chef de service, le gynécologue-obstétricien Bassem Nakfour, dénoncent une situation d'insécurité créée à dessein. « La direction n'a pas investi dans le matériel ; ils ont embauché du personnel peu compétent ; tout le monde était en intérim ou en CDD… », abonde le Dr Joseph Lenormand, anesthésiste à mi-temps. Lui-même a cumulé les CDD « de six mois maximum » pendant huit ans dans l'établissement, sans jamais obtenir le poste de titulaire demandé. Par ailleurs, les sursis accordés – de trente mois maximum depuis 2008 – plongent le service dans l'incertitude, créant des conditions peu propices au recrutement médical. Selon le Collectif de défense de l'hôpital, trois gynécologues et un chirurgien avaient pourtant manifesté leur intérêt pour un poste dans cette maternité… à condition de garantir son maintien pendant cinq ans. Un délai que le Collectif de défense n'aura jamais réussi à obtenir. En octobre, le Dr Adonis Bechara, gynécologue-obstétricien à Valence, déposera tout de même sa candidature. « Le directeur de l'hôpital m'a reçu, il m'a demandé pourquoi je candidatais vu que la maternité allait fermer. Depuis, je n'ai pas eu de nouvelles », raconte-t-il.

En France, le cas de Die est loin d'être isolé. Depuis le début des années 1970, un vaste mouvement de restructuration a emporté les deux tiers des maternités, souvent celle à l'activité la plus réduite. En 2012, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) relevait que l'enjeu était désormais « de s’interroger sur la possibilité d’accorder des dérogations de longue durée aux maternités dont la disparition dégraderait notablement l’accès aux soins », afin de les délivrer de cette « perpétuelle incertitude » qui, finalement, les condamne.

 

 

Angela Bolis

Source : Le Quotidien du médecin: 9627