13 heures/semaine pour l'administratif, la compta, l'entretien…

L'agenda des généralistes plombé par les tâches non médicales

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Publié le 15/11/2018

Entretenir son cabinet, gérer les dossiers patients, les courriers, les rendez-vous, la comptabilité, affronter les aléas de l'informatique… L'ensemble des tâches dites « non médicales », qui ne relèvent pas du domaine du soin, grignotent toujours – et même cannibalisent – l'agenda des praticiens libéraux, illustre efficacement la thèse* que vient de soutenir Jean-Baptiste Prunières, jeune généraliste montpelliérain.  

Ce travail tombe à point nommé. Quelques semaines après l'annonce par le gouvernement de la création de 4 000 postes d'assistants médicaux pour épauler les praticiens regroupés, cette étude – qui a exploité les réponses de 121 généralistes libéraux en Occitanie – évalue à 13 heures et 6 minutes par semaine le temps consacré aux tâches non médicales. Des activités dont une des caractéristiques premières est qu'elles seraient « délégables à un personnel non médical », souligne l'étude. 

Le temps de travail hebdomadaire d'un généraliste libéral est majoritairement compris dans une fourchette de 40 à 60 heures, avec une moyenne de 57 heures**. « Les tâches non médicales représentent ainsi en moyenne entre 22 % et 33 % de l'activité des médecins répondants ! », établit Jean-Baptiste Prunières. Un planning à rallonge qui conduit plus de huit omnipraticiens sur dix à accomplir chez eux certaines tâches non soignantes ou à se déplacer sur leur lieu de travail lors de leur temps libre. « Outre leur caractère chronophage les jours d'activité clinique, ces tâches s'immiscent dans le temps libre et de loisirs », insiste l'auteur de la thèse. 

L'administratif, cœur de la problématique mais pas que

Dans le détail (graphique), ce sont les activités administratives ou « paperassières » telles que la constitution du dossier patient, la tenue des dossiers médicaux, la gestion des courriers, des comptes rendus et des rendez-vous, qui impactent le plus le temps de travail des généralistes libéraux. Ils y consacrent 6 heures et 36 minutes en moyenne par semaine.

De ce point de vue, l'informatisation (qui concerne 98 % des généralistes) et le recours à un logiciel métier (95 %) ne règlent pas la problématique de la gestion chronophage du dossier patient. Sans compter que plusieurs médecins de famille ont signalé des tâches spécifiques comme le contrôle du tiers payant ou la transmission d'ordonnances par fax aux patients, qui peuvent prendre plusieurs dizaines de minutes par semaine.

La comptabilité (préparation, gestion des chèques) équivaut à une petite heure de travail en plus. « Les activités comptables semblent avoir un retentissement plus faible que celui attendu. Celui-ci semble en partie expliqué par le recours majoritairement à un cabinet d'expertise-comptable (66,9 %) ou à un logiciel de comptabilité (17,4 %) », note l'auteur.

En revanche, la gestion du système informatique est un paramètre non négligeable. La résolution de « bugs », les sauvegardes de dossiers et l'entretien du matériel représentent ainsi trois quarts d'heure par semaine, tout comme la gestion du matériel médical (commande, achats).

Gestionnaire de parcours complexes 

Le temps consacré à la gestion du parcours de soins pour le patient (adressage à un confrère spécialiste, entrée en hospitalisation, transport) a été évalué à 1 h 13 par semaine. Et lorsque les patients sont complexes, la gestion des problématiques sociales associées (liens avec les structures ad hoc, aides diverses aux patients isolés, conseil aux aidants) est estimée à 48 minutes par semaine supplémentaires ! « Les patients ne sont pas forcément au courant de leurs droits, ils sont démunis face à certaines situations, le médecin joue le rôle d'assistante sociale alors que ces tâches pourraient être facilement déléguées », analyse Jean-Baptiste Prunières. Les conditions socio-économiques et le profil de la patientèle jouent ici un rôle déterminant.  

Souvent vilipendées, les relations avec les caisses primaires d'assurance-maladie (résolution de problèmes techniques, échec de télétransmission, site ameli inopérant, carte CPS défectueuse), les entretiens avec les délégués médicaux ou la commande des formulaires CPAM ne représentent finalement « que » 30 minutes. Mais cette charge somme toute limitée peut devenir pesante en cas de contentieux avec la Sécu.

C'est deux fois moins de temps en tout cas que l'entretien quotidien ou courant du cabinet médical (désinfection, nettoyage, gestion des déchets ménagers et d'activités de soins à risque infectieux – DASRI) qui équivaut à près d'une heure chaque semaine. Or, un quart des généralistes assurent s'y consacrer eux-mêmes. 

  

L'exercice en groupe, un rempart

Que faire pour améliorer les choses ? L'auteur constate que l'installation en cabinet de groupe ou en maison de santé est une option pertinente. De fait, l'étude révèle que le temps moyen consacré aux tâches non médicales est un peu supérieur à 11 heures dans le cadre d'un exercice regroupé contre… près de 15 heures par semaine pour le généraliste en solo ! Dans une moindre mesure, l'écart existe entre les praticiens en zone urbaine (13 heures de tâches non médicales) et en zone rurale (près de 14 heures). 

Paradoxalement, le fait d'avoir recours à un secrétariat (physique ou à distance) pour gérer les appels entrants ne réduit pas significativement la durée déclarée des tâches non soignantes. « C'est une grande surprise qui peut s'expliquer par le fait que les secrétaires sont partagées entre plusieurs praticiens pour des tâches dites mineures », explique l'auteur de la thèse.

Selon lui en tout cas, l'administratif, la gestion du parcours de soins et le traitement des problématiques sociales pourraient être en partie délégués à des assistants médicaux. À condition que cette réforme Macron soit à la hauteur des enjeux. Le plan Santé 2022 envisage « un assistant pour deux ou trois médecins, cela risque d'en diluer l'effet bénéfique, prophétise l'auteur. Les fonctions des assistants ne sont pas encore déterminées et oscillent entre l'administratif et les soins mais ils ne pourront pas être partout et faire 50 à 60 heures semaine… » Pour l'Élysée, ces assistants médicaux pourraient permettre de regagner 15 % de temps médical. Chiche ?   

* « Évaluation des tâches non médicales des médecins généralistes en Occitanie : étude transversale par autoquestionnaire »

** « Les emplois du temps des médecins généralistes », DREES, n°797. Mars 2012.

Sophie Martos

Source : Le Quotidien du médecin: 9702