Délégations de tâches

L'Assemblée nationale déshabille les médecins, la profession voit rouge

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Publié le 05/11/2021
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L’accès direct aux professionnels comme que les orthoptistes, orthophonistes, kinés ou infirmiers en pratique avancée sans adressage par un généraliste a été adopté, en première lecture, par les députés. Pour les médecins, ça ne passe pas.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Entorses soignées par le kiné,  TROD effectués par le pharmacien en cas de suspicion d’angine, visites de santé au travail assurées par des infirmiers… ces glissements d'activité se sont accélérés, à chaque budget de la Sécu, sous le quinquennat Macron.

Cette fois, une étape supplémentaire a même été franchie. L'Assemblée nationale a en effet autorisé, en première lecture pour l'instant, sur proposition du gouvernement et des députés de la majorité, l'accès direct à plusieurs professions paramédicales, sans passer par la case médecin.

Ainsi, les orthoptistes vont pouvoir réaliser des bilans, prescrire des lunettes ou des lentilles « pour les corrections faibles » et effectuer certains dépistages comme celui de l’amblyopie, en accès direct et sans supervision médicale. Orthophonistes et kinésithérapeutes exerçant dans une structure de soins coordonnés (MSP, centre de santé, équipes de soins primaires..) pourront eux aussi bénéficier de ces ouvertures via des expérimentations « dans six départements et pour une durée de trois ans ». Cerise sur le gâteau ! « Pour trois ans, dans trois régions », les infirmiers en pratique avancée (IPA) auront à titre expérimental la primo prescription pour « certaines prescriptions soumises à prescription médicale dont la liste sera fixée par décret ».

Pour le gouvernement, ce choix politique est « bénéfique » pour lutter contre la pénurie médicale, qui retarde l'accès aux soins dans de nombreux territoires. Ces accès directs permettraient donc « de faire des économies de temps médical, de réduire le volume de soins dispensés et donc remboursés, de faire gagner du temps au patient dans son parcours de soins », a plaidé la députée rhumatologue LREM, Stéphanie Rist.

Méthode brutale

Avec le Covid, la profession avait vite compris que le contour des métiers serait largement revus. Et elle n'y est pas opposée. Mais les amendements adoptés par l'Assemblée nationale dépassent largement le cadre de délégations de tâches protocolisées sous la responsabilité du médecin, comme on les connaissait depuis la loi Bachelot de 2009. D'où le vent de colère d'autant plus fort que les représentants des médecins libéraux pensaient avoir obtenu d'Olivier Véran un « moratoire » sur les délégations de tâches. Du coup, comme un seul homme, ils dénoncent la « méthode brutale » du gouvernement. « Tout s'est fait sans concertation, sans discussion, au hasard d'un amendement d'un député, réagit le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Croyez-vous que la bonne manière est de forcer les gens ? »

Exercice illégal de la médecine

Derrière cet accès direct, les syndicats craignent avant tout le « démantèlement » de la médecine libérale. Le président d'Avenir Spé, le Dr Patrick Gasser, dit comprendre « les problèmes d'accessibilité aux soins de la population auxquels il faut répondre. Mais là on est en train de tout faire exploser. Cela ressemble même à l'exercice illégal de la médecine ».

Alors « corpos », les médecins ? « Non » répondent-ils en chœur. Ils veulent défendre l'impératif catégorique du diagnostic médical avant « toute orientation thérapeutique et parcours de soins. « Un symptôme en apparence banal comme un mal de dos peut être le signe d’une maladie grave, justifie le Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF. Ce n'est pas une question de jugement mais de formation ».

Le SML, lui, estime que l'accès direct est possible à condition que le paramédical ait « une formation et une grille d'inclusion des patients ». Bref, une autonomie « consentie », « préparée » avec le médecin pour éviter le « morcellement » du parcours de soins, selon MG France. L'inquiétude porte aussi sur le modèle économique du médecin en cas de transferts d'activité. « Croyez-vous que le généraliste acceptera de consacrer son activité aux consultations longues avec une consultation bloquée à 25 euros ? », lance en colère le Dr Margot Bayart, vice-présidente du syndicat de généralistes.

Alors que la médecine libérale réclame des moyens pour se restructurer, ces mesures sont donc vécues comme un affront supplémentaire de la part du gouvernement qui avait centré ses efforts sur l'hôpital avec le Ségur. Pour faire face, la fronde s'organise mais de façon encore dispersée. La CSMF compte faire porter par des sénateurs alliés des amendements afin de faire supprimer ces accès directs. MG France a écrit une lettre ouverte aux députés et appelle les médecins à ne plus participer aux expérimentations du Service d'accès aux soins (SAS). L'UFML, présidée par le Dr Jérôme Marty invite les praticiens à « entrer dans un mouvement progressif d’arrêt de participation à la PDSA et de l’exercice à partir du 1er décembre ». Un appel à la grève qui pourrait servir de baromètre du ras-le-bol des médecins libéraux. 

Loan Tranthimy

Source : Le Quotidien du médecin