Les futurs médecins ont-ils le droit de négocier ?

Les syndicats seniors se déchirent

Publié le 15/12/2014
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LA CSMF ET LE SML ont mis leur menace à exécution. Les deux syndicats, en position de force pour signer ou refuser un accord sur la future convention médicale, ont quitté la table des négociations dès l’ouverture de la deuxième séance consacrée à la démographie médicale. Ils ont pris leur décision après avoir constaté la présence de représentants des étudiants en médecine (ANEMF) et d’internes (ISNIH et ISNAR-IMG) dans les délégations de MG-France et du BLOC. La Confédération et le SML avaient déjà exigé l’exclusion des structures « jeunes » lors de la précédente réunion (Le Quotidien du 11 avril). « Nous ne voulons pas d’une parodie de négociation et nous ne continuerons pas en suivant la formule des minoritaires », a justifié le Dr Jean-François Rey, président de la branche « spécialistes » de la CSMF (UMESPE), en quittant la séance. Le Dr Christian Jeambrun, président du SML, n’accepte pas non plus que des jeunes « se camouflent » dans les délégations seniors. « Nous demandons que les délégations des syndicats représentatifs soient composées de médecins installés », avance le Dr Jeambrun.

Mauvais effet.

La présence d’étudiants et d’internes avait occasionné un premier clash dès la séance inaugurale. Le directeur de l’Union nationale des caisses d’assurance-maladie (UNCAM) avait alors exclu les représentants des carabins et des internes qui s’étaient invités aux négociations en tant qu’observateurs afin d’éviter « tout risque d’invalidation ». Cette fois-ci, Frédéric van Roekeghem n’a pas contesté la présence des jeunes médecins au sein de délégations « amies » de syndicats seniors. « Seuls négocient les syndicats représentatifs mais chaque syndicat représentatif reste libre de composer sa délégation », a-t-il précisé. Résultat un peu rocambolesque : le patron de l’assurance-maladie a continué à discuter avec MG-France, la FMF et le BLOC après le départ de la CSMF et du SML.

L’affaire a été évoquée sur les bancs de l’Assemblée nationale, lors de la discussion sur la loi Fourcade (lire aussi page 4). Le député socialiste, Christian Paul, a déploré la tournure des débats sur la convention.

« Nous déplorons que les jeunes médecins ne soient pas acceptés autour de la table de négociation alors qu’il est urgent d’engager le débat avec eux. Nous pouvons avoir des désaccords mais nous les respectons », a-t-il tranché.

Après trois ans sans avancée conventionnelle, c’est donc la question de la légitimité des jeunes à participer directement à des négociations qui engagent leur avenir (démographie mais aussi secteurs tarifaires, modes de rémunération, exercice...) qui empoisonne ce cycle de discussions. Ce qui n’est pas du meilleur effet. Depuis la grande grève des internes d’octobre 2007 (face aux menaces sur la liberté d’installation), le gouvernement s’efforce de donner des gages à la jeune génération, toujours vigilante face aux « sages » décisions que pourraient prendre leurs aînés. L’organisation des États généraux de l’organisation de la santé (EGOS), en 2008, devait servir à construire des ponts entre les médecins en formation, les praticiens installés et les pouvoirs publics. Trois ans plus tard, rien n’est réglé.

Un clash stratégique ?

Dans ce climat de division, les discussions consacrées à la démographie médicale, pourtant cruciales, sont passées au second plan. « Ce départ est un prétexte maladroit choisi par la CSMF et le SML pour montrer qu’ils détiennent les clés de la signature d’une convention, juge le Dr Jean Marty, coprésident du BLOC. La CSMF n’entend pas avoir de débat avec l’ensemble de la communauté médicale. On a le sentiment que l’affaire est déjà bouclée ». Pour le Dr Claude Leicher, président de MG-France, la CSMF et le SML commettent une « faute politique majeure » en « divisant le corps médical entre les vieux et les jeunes ». « Ils donnent une image déplorable de la profession avec cette mise en scène théâtrale », dit-il. « Nous avons besoin de tout le monde autour de la table, estime pour sa part le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF. Il faut en appeler à l’esprit de responsabilité de chacun. Ce qui se passe est grave et met en danger le système conventionnel ». De leur côté, la CSMF comme le SML se déclarent favorables à de simples réunions de « concertation » impliquant les organisations étudiantes sur les sujets qui les concernent.

Chez les jeunes, l’incompréhension est à son comble, et l’affaire a déjà gagné les forums carabins. « C’est une mauvaise image qui est envoyée aux étudiants car cela donne l’impression qu’on prépare quelque chose dans leur dos ! », commente Pierre Leblanc, vice-président de l’ANEMF. « Quand un syndicat envoie un communiqué pour annoncer son départ des négociations 5 minutes après avoir quitté la discussion, c’est qu’il a prémédité son coup, déclare Stéphane Munck, président de l’ISNAR-IMG. De toute façon, la CSMF et le SML auraient trouvé n’importe quel prétexte pour quitter la table et obtenir des entretiens bilatéraux ».

Pressions du ministère.

Bertrand Joly, président de l’ISNIH, s’étonne d’être considéré comme un élément indésirable dans les négociations. « Il y a dix jours, le SML me proposait une place dans sa délégation et aujourd’hui ils ne veulent plus nous voir… ». Les étudiants de l’ANEMF, les internes de l’ISNIH et l’ISNAR-IMG, les chefs de clinique (ISNCCA) et les jeunes généralistes (SNJMG) assurent ne pas être manipulés et demandent la reprise des négociations. « Nous ne faisons le jeu d’aucun syndicat et nous demandons à travailler ensemble », écrivent les cinq organisations dans un communiqué commun.

L’affaire est suivie de près par le gouvernement. Informé d’un risque de clash, le ministère de la Santé a tenté jusqu’à la veille des négociations de dissuader les organisations de jeunes de se rendre à la CNAM et d’empêcher les syndicats seniors de les accueillir dans leur délégation. Sans succès.

La poursuite des négociations est suspendue à la décision des organisations de médecins. « Soit les syndicats se mettent d’accord entre eux et nous reprendrons les discussions en multilatérales, soit ils ne s’entendent pas et nous poursuivrons en bilatérale », résume-t-on à l’Assurance-maladie. Une dizaine de réunions sont programmées d’ici le 30 juin, date à laquelle le directeur de l’UNCAM souhaite la conclusion de la convention médicale. Ce calendrier déjà bien chargé pourrait être remis en question.

Devant ce blocage, le ministère de la Santé devra sans doute intervenir pour éviter un enlisement. Nul doute qu’à l’Élysée où MG-France sera reçu mardi, on suivra également l’évolution de ce dossier avec attention.

 CHRISTOPHE GATTUSO

Source : Le Quotidien du Médecin: 8945