« Nous sommes en train d’écrire l’histoire ! » Dans une ambiance survoltée par près de 700 confrères (et plus de 1 000 en webinaire), le Dr Jérôme Marty, président de l’Union française pour une médecine libre (UFML-S) a lancé le 3 mars en grande pompe ses assises du déconventionnement, depuis la Cité internationale universitaire de Paris.
Une première qui tombait à point nommé : après l’échec des négociations avec la Cnam – « grâce au front commun syndical » – le généraliste de Fronton avait convié des généralistes et spécialistes de toute la France afin d'accentuer la pression sur le gouvernement dans la nouvelle séquence qui s'ouvre. Pendant deux jours, dans une salle pleine à craquer, l’UFML a présenté les enjeux, les objectifs et les modalités d’un « déconventionnement collectif » avec un but affiché : recueillir les promesses de « 15 000 à 20 000 médecins à l’échelle nationale d’ici 12 à 18 mois ».
Du jamais-vu en France et un « moyen de lobbying » assumé, qui cible le cœur du contrat liant la profession avec la société. « C’est un choix qui peut paraître violent, concède le Dr Marty. Mais une fois que 20 % des médecins se seront engagés à se déconventionner, nous irons voir les politiques et nous leur demanderons : que faites-vous pour nous retenir ? » L'UFML assure qu'elle porte la voix, « non pas de médecins ultralibéraux qui voudraient la mort du système solidaire » mais des praticiens qui ne veulent plus travailler dans les conditions actuelles (lire aussi page 17).
Après avoir mesuré les avantages et les risques du secteur 3, écouté les experts du droit ou de l'économie, les participants étaient invités à déposer dans une urne transparente leurs « promesses de déconventionnement », sous le regard d'un huissier. À l’issue des assises, plus de 400 lettres avaient été récoltées en présentiel. Un « acte fondateur » pour le syndicat, qui a salué une journée « mémorable ».
Négocier avec les mutuelles
Plutôt qu'une stratégie isolée de déconventionnement, vouée à l'échec, le pari de l'UFML consiste à « faire tomber » des territoires les uns après les autres. « Région par région, spécialité par spécialité, à partir du moment où 20 % des médecins ont déposé une promesse de déconventionnement, on considère que le territoire est tombé et ça aura du sens », détaille le Dr Marty. En parallèle, dans l'espoir d'un sursaut politique, le syndicat tentera de « négocier avec les mutuelles et les assurances » pour faire baisser le reste à charge hors convention et « solvabiliser » ce secteur 3. Un financement hypothétique loin d'être gagné.
Seuls 700 médecins exercent hors du champ conventionnel en France. Une rareté que Jérôme Marty espère corriger pour en finir avec le remboursement dérisoire sur la base du tarif d’autorité (0,61 € pour une consultation de médecine générale, 1,22 € chez un spécialiste), « scandale franco-français ». « Si nous sommes des milliers, nous aurons plus de poids face aux financeurs », imagine le généraliste. « Nous restons conventionnistes mais force est de constater que des milliers de médecins ne se reconnaissent plus dans la convention », abonde le Dr David Schapiro, ophtalmologiste, vice-président de l’UFML. « Il faut protéger le système solidaire comme un joyau, mais ceux qui le sabotent, ce n’est pas nous ! », insiste le Dr Marty. Le patron de la Cnam, Thomas Fatôme, est attentif à ce mouvement de rejet de la convention mais a dénoncé une initiative « contraire aux fondamentaux de notre système de santé ».
« Ça suffit »
Lors des assises, le Dr Didier Legeais, président Syndicat national des chirurgiens urologues (SNCUF), a tenté d'exposer les avantages et inconvénients du secteur III. Un médecin hors convention ne cotise pas à l’ASV mais perd donc « 30 % de retraite », indique le chirurgien grenoblois. La liberté tarifaire certes, mais exit les aides à l’installation et les forfaits. « Entre la désertification médicale et les départs à la retraite, il y a de la place pour le secteur III, veut croire le Dr Legeais. C’est la première fois qu’on vous offre cette fenêtre historique ! Les médecins sont en position de dire "ça suffit" ».
Les participants ont pu écouter les témoignages de confrères partis à l’étranger, comme le Dr Barthelemy Liabaud, algologue expatrié à New York et acclamé lorsqu’il annonce son revenu annuel : « 150 000 euros net, en travaillant de 9 heures à 17 heures » et des consultations facturées 200 à 250 dollars… Installé en Suisse depuis 2019 pour fuir « l’empilement des strates administratives », le Dr Franck Chaumeil a harangué la salle. « En Suisse, la consultation est facturée autour de 100 euros en moyenne et tout le monde trouve ça tout à fait normal », raconte-t-il.
« Coup de maître »
Ces assises sont « un coup de maître », salue le Dr Philippe Cuq, patron de l'Union des chirurgiens de France (UCDF) et coprésident du syndicat Le Bloc. « À l’évidence, le gouvernement a sous-estimé notre malaise », analyse le chirurgien. Plusieurs syndicats représentatifs – mais pas MG France ni la CSMF – avaient répondu présents à l'invitation de l'UFML, dans un climat de ras-le-bol. « C’est ma troisième négo, et je n’ai jamais connu ça, raconte la Dr Corinne Le Sauder, présidente de la FMF, très applaudie. Ce texte était une humiliation, nous avions l’impression d’être écrasés ».
Gratifiée d'une standing ovation, la Dr Christelle Audigier, fondatrice du collectif « Médecins pour demain », a dénoncé la « maltraitance du corps médical ». Le déconventionnement – longtemps « tabou » – s’envisage désormais car « les médecins n’en peuvent plus », témoigne la généraliste. Une forme de « survie », ose même le Dr David Shapiro. « Si le règlement arbitral se révèle très dur, ça va encore plus nous pousser au déconventionnement, alerte Jérôme Marty. La balle est dans le camp politique ».
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