Elles retentissent jusqu’à 500 fois par journée de travail en réanimation ou au bloc, un peu moins aux urgences (1). Désormais, la plupart des appareillages utilisés en soins continus (monitorage cardio-respiratoires, ventilateurs lourds et ventilation non invasive, bases de perfusion, pompes nutrition, analgésie par PCA, dialyse continue et discontinue) sont dotés d’un système d’alarme propre. Et pour éviter de passer à côté d’évènements potentiellement graves, les fabricants règlent les seuils d’alerte de façon très basse.
La nature intrusive et perturbante des alarmes sonores peut augmenter le niveau de stress en journée de travail habituelle et plus encore au cours d’un événement anormal à l’origine d’un « déluge d’alarmes ». Résultat, à force d’entendre en continu des bruits stridents, certains soignants développent une fatigue liée aux alarmes. Ce terme désigne l’augmentation du temps de réaction ou la réduction du taux de réponse d’un professionnel de santé à une alarme après avoir été confronté à un nombre excessif de signaux. À cause de cela, les opérateurs ignorent, abaissent les seuils ou désactivent manuellement les alarmes. En outre, les interruptions fréquentes induites par les alarmes ne nécessitant pas d’action peuvent nuire à la mémoire prospective et induire des erreurs de planification des tâches. Enfin, les soignants mettent en avant le « cry-wolf effect » (effet de « crier au loup » et de répondre en urgence à toutes les alarmes) qui peut être à l’origine d’un manque de confiance dans les appareils les plus sensibles, voire pousser les utilisateurs à ignorer les prochaines alarmes (2).
Pourtant, une telle attitude peut porter préjudice au patient. Aux États-Unis, la FDA estime que la fatigue liée aux alarmes est à l’origine d’une centaine de décès chaque année. En France, l’ANSM (1) évoque un nombre important de signalements ou risques d’incidents liés aux alarmes des dispositifs médicaux, et rapporte environ 20 décès par an.
Pour qu’elle soit efficace, l’alarme doit se déclencher au bon moment, elle doit être transmise à la bonne personne (et non à l’intégralité de l’équipe) et doit nécessiter une réponse appropriée dans un délai rapide. Mais est-ce réellement le cas ? Une étude menée en 2020 dans un service d’urgence américain pendant 53 heures (3) a comptabilisé 1 049 alarmes déclenchées par 146 patients surveillés, ce qui correspond à 18 par heure d’observation et quatre par patient.
Les alarmes les plus fréquentes concernaient (par ordre décroissant) des extrasystoles ventriculaires, la déconnexion de l’oxymètre de pouls et la déconnexion de l’ECG. Seulement huit des 1 049 ont entraîné des changements dans la prise en charge du patient, impliquant cinq patients sur 146 (3,4 %). Le personnel n’a pas répondu à 64 % des alarmes et les a réduites au silence dans 31 % des cas. Trois types d’alarmes inadaptées ont été individualisés : les fausses alarmes (trop prudente des seuils), les non justifiées (alarme de basse pression artérielle quand le brassard à tension se gonfle) et les inopportunes (qui se déclenchent au mauvais moment).
Innover pour mieux gérer
L’ANSM propose dans son guide 2019 (1) une liste d’options et d’innovations permettant l’amélioration de la gestion des alarmes et réduire celles cliniquement non-pertinentes : la temporisation du signal, la génération d’une alarme à partir d’une combinaison d’événements, la génération d’une alarme prédictive fondée sur des tendances cliniques et para-cliniques, ou encore la mise en place d’un système intelligent capable d’analyser et de proposer des seuils d’alarme pertinents.
Une autre option - qui a été testée par exemple aux Hospices Civils de Lyon - consiste à centraliser les alarmes et à les transmettre seulement aux soignants en charge du patient. Dans le retour d’expérience de cette initiative (4), on retient que les patients peuvent mieux se reposer en l’absence de matériel bruyant, que les familles sont rassurées (en particulier celles des petits patients) par l’absence de sonneries stressantes, que les soignants peuvent mieux se concentrer sur leurs propres patients et que les précautions d’hygiène sont mieux appliquées puisque les portes des chambres sont ouvertes moins souvent. Reste que les fabricants n’ont pas développé de normes permettant de relier les différentes alarmes à un seul et unique moniteur de surveillance et c’est sur ce point que les soignants doivent maintenant œuvrer afin de pouvoir travailler dans un futur proche dans des services de réanimation ou d’urgence moins bruyants.
(1) H. Martin, « Gestion des alarmes des dispositifs médicaux dans les établissements de santé» ANSM, 2019.
(2) K. J. Ruskin et J. P. Bliss, « Fatigue liée aux alarmes et sécurité des patients » APSF, 2019.
(3)Fleischman W, Cibiberto B. Emergency department monitor alarms rarely change clinical management: An observational study. Am J Emerg Med 2020 Jun;38(6):1072-1076.doi: 10.1016/j.ajem.2019.158370.
(4) Combe L, Guibert S. Gestion des alarmes en service de réanimation : aspect normatif, audit ANSM et vision globale du marché. IRBM NEWS. Doi : 10.1016/j.irbmnw.2020.100267
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