L’événement - Un an après la réforme

Une mue laborieuse de la médecine du travail

Publié le 11/07/2013
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Crédit photo : S TOUBON

Le 1er juillet 2012, la réforme de la médecine du travail entrait en application. Un an plus tard, l’exercice de la profession est devenu plus collectif. Des infirmières titulaires d’un diplôme interuniversitaire arrivent au compte-gouttes dans les services de santé au travail soumis à des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens. Les praticiens s’attellent à leur nouvelle fonction de manager tant bien que mal. « Un nouveau mode d’exercice se dessine », témoigne l’un des médecins des services interentreprises. La profession commence à trouver sa place dans le nouveau paysage tout en restant critique sur cette refonte, qui demandera de nombreuses années avant d’être pleinement opérationnelle.

DIX ANS : c’est le temps que devrait mettre la médecine du travail pour opérer sa mue, d’après les médecins des services interentreprises. La loi votée par le Parlement en juillet 2011 et les décrets parus six mois plus tard bouleversent un métier qui n’avait subi depuis 1946 que des modifications marginales. Indispensable eu égard à l’effritement de la démographie médicale, la réforme semble pour l’heure ne pas tenir toutes ses promesses.

Les inquiétudes des médecins portaient avant tout sur leur rôle au sein des services de santé au travail (SST) interentreprises. « Les missions des services sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail, comprenant des médecins du travail, des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) et des infirmiers. (...) Les médecins du travail animent et coordonnent l’équipe pluridisciplinaire », précisent les décrets de janvier 2012.

Des équipes en constitution.

Un an après, les équipes commencent à se former, des infirmières titulaires d’un diplôme interuniversitaire en santé au travail arrivent au compte-gouttes dans les services et les médecins s’attellent à leur nouvelle fonction de manager tant bien que mal.

« Auparavant, le médecin du travail missionnait ponctuellement des ergonomes pour des études de poste approfondies, des psychologues, ou des intervenants en prévention des risques professionnels. Désormais, nous travaillons en équipe et l’arrivée d’une infirmière à temps plein est un changement important », témoigne le Dr Céline Bagnaud-Autier, médecin à l’association interprofessionnelle de santé au travail (AIST) à Clermont-Ferrand. Devenir manager ? Un « défi stimulant et intéressant » pour la professionnelle qui a déjà suivi une formation à ses nouvelles missions.

À Lille, le Pôle Santé travail et ses 178 médecins s’étaient engagés dans des expérimentations avant l’entrée en vigueur de la loi. Une trentaine d’équipes comprenant un médecin, une infirmière, un assistant en santé du travail et un secrétaire, sont déjà constituées. L’objectif est d’en compter une cinquantaine d’ici deux ou trois ans. Une petite dizaine de collaborateurs médecins, statut introduit par la loi pour faciliter les reconversions, devrait bientôt venir grossir les rangs. « Pour les médecins, c’est une révolution personnelle inégalement ressentie selon chacun : on passe d’un exercice individuel à collectif, on doit accepter de partager un suivi avec une infirmière et des techniciens, et on quitte la médecine du travail pour la santé au travail. Difficulté pour les uns, opportunité pour d’autres, c’est à l’évidence un nouveau mode d’exercice qui se dessine », analyse le Dr Thierry Hennion, médecin coordonnateur.

Mutualisation.

Ailleurs, « il y a une véritable volonté de remplir les nouvelles obligations réglementaires », témoigne le Dr Pierre Padzunas, médecin du travail qui partage son temps entre deux services dans l’Ain et le Rhône. Des cabinets de conseil extérieurs ont été recrutés pour accompagner le changement. Mais les ambitions se heurtent parfois aux réalités : « À Lyon, deux STT ont mutualisé les équipes de techniciens. Nous sommes 172 médecins à pouvoir bénéficier de l’expertise d’une quarantaine de techniciens. Mais comment peut-on être le chef d’orchestre de 40 personnes qu’on partage avec 171 collègues ? » s’interroge le Dr Padzunas.

Comme les équipes, les projets de service*, élaborés sur avis de la commission médico-technique et validés par le conseil d’administration, essentiels pour avoir l’agrément, se mettent en place. Ils sont ensuite intégrés au contrat pluriannuel (cinq ans) d’objectifs et de moyens (CPOM), signé par l’agence régionale de la santé, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) et la Caisse d’assurance retraite (CARSAT).

À Clermont-Ferrand, « des groupes de travail se sont réunis au sein de la commission médico-technique. En fonction des remontées du terrain et du ressenti des médecins, quelques thèmes ont été identifiés. Le médecin coordonnateur sera chargé de les développer dans le cadre du projet de service », explique le Dr Bagnaud-Autier.

À Lille, les négociations sont en cours entre la CARSAT, la DIRECCTE, et le SST. « Il y a deux façons de considérer les choses, décrit le Dr Hennion. Les CPOM doivent résulter d’un dialogue entre les trois instances qui chacune apporte leur point de vue et c’est dans cette voie que nous nous sommes engagés en Nord-Pas-de-Calais. Mais si ailleurs le SST était considéré comme un simple exécutant, face à un donneur d’ordre, il y aurait matière à préoccupation ».

Pression des employeurs.

La réforme laisse à la direction du service le dernier mot sur les orientations stratégiques en santé. L’absence d’alternance entre le représentant des employeurs, à la tête du conseil d’administration, et celui des salariés, à la trésorerie, laissait craindre la mise sous tutelle des médecins.

« Nous n’avons pas eu de souci », observe le Dr Céline Bagnaud-Autier. « En tant que défenseur du paritarisme, mais opposé, pour l’avoir vécu, à une présidence tournante, ce système me semble équilibré », confie le Dr Hennion.

Pour Pierre Padzunas, la réforme n’a pas en elle-même d’incidence sur le regard que la direction du service porte sur l’exercice du médecin. « Le pivot qu’est la commission médico-technique est indépendante. Certes, notre avis n’est pas obligatoire, mais nous ne sommes pas les payeurs. On peut regretter l’absence d’alternance à la présidence du conseil d’administration qui aurait pu contourner cette difficulté ».

Pas question de baisser la garde pour autant. « Au-delà de cette réforme, la pression des employeurs sur les médecins est évidente. Nous arrivons à avoir 70 contestations d’aptitude par mois alors qu’avant nous n’en avions que quatre ou cinq », poursuit le Dr Padzunas.

Le Dr Mireille Chevallier, secrétaire générale du Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPTS), va plus loin et dénonce des conflits d’intérêts. « La réforme renforce le pouvoir des employeurs qui ont la direction des services, peuvent tenir la Commission médico technique, et imposer un projet de service aux médecins. C’est davantage de la gestion des risques pour les entreprises que la santé des employeurs ».

Ni temps, ni médecins gagnés.

En passant de la médecine du travail à l’ancienne à la santé en entreprise, la réforme devait apporter une respiration aux médecins, de moins en moins nombreux (voir encadré) et vampirisés par les visites périodiques.

Un an après, les professionnels semblent plus surchargés que jamais. « Nous devons former les infirmières aux entretiens, tout en assurant les visites périodiques. Nous avons davantage de visites de pré-reprises et nous restons très occupés par les visites d’urgence. Enfin nous essayons de respecter, au moins sur l’agenda, un tiers de notre temps consacré au terrain », détaille le Dr Bagnaud-Autier.

Même constat à Lille : « On ne peut pas considérer que la mise en place de ces équipes diminue la charge de travail des médecins. Les visites de pré-reprises sont chronophages et complexes. Les entreprises, qui commencent à connaître nos actions, sont de plus en plus demandeuses. Et il nous faut en plus coordonner et animer des équipes alors que le nombre d’équivalents temps plein de médecin diminue », constate le Dr Hennion.

« Libérer un tiers de son temps pour le terrain, c’est fortiche » résume le Dr Padzunas.

Pour Mireille Chevalier, la réforme ne règle en rien la pénurie de médecins du travail. « La collaboration avec les infirmiers, IPRP, AST est une bonne idée, mais on ne peut pas se passer de médecins du travail. Il faut former plus d’internes ». Ils seront 170 en première année d’internat à la rentrée. Ces derniers seront-ils attirés par le renouveau du métier ? « Je suis convaincu que cette réforme peut permettre à des étudiants de trouver un nouvel intérêt à la discipline » croit le Dr Hennion.

*Le projet de service prend en compte les demandes directes des entreprises adhérentes, des salariés et les priorités en santé au travail qui émanent des équipes locales, et qui sont préconisées par les politiques nationales.

 COLINE GARRÉ

Source : Le Quotidien du Médecin: 9257